Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/403

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mineuses, comme jadis je fis des miracles de voleur pour aller baiser la clef que la comtesse Ladislas avait touchée de ses mains en ouvrant une porte. L’air que vous respiriez était balsamique ; il y avait pour moi plus de vie à l’aspirer, et j’y étais comme on est, dit-on, sous les tropiques, accablé par une vapeur chargée de principes créateurs. Il faut bien vous dire ces choses pour vous expliquer l’étrange fatuité de mes pensées involontaires. Je serais mort avant de vous avouer mon secret ! Vous devez vous rappeler les quelques jours de curiosité pendant lesquels vous avez voulu voir l’auteur des miracles qui vous avaient enfin frappée. J’ai cru, pardonnez-moi, madame, j’ai cru que vous m’aimeriez. Votre bienveillance, vos regards interprétés par un amant, m’ont paru si dangereux pour moi, que je me suis donné Malaga, sachant qu’il est de ces liaisons que les femmes ne pardonnent point ; je me la suis donnée au moment où j’ai vu mon amour se communiquer fatalement. Accablez-moi maintenant du mépris que vous m’avez versé à pleines mains sans que je le méritasse ; mais je crois être certain que dans la soirée où votre tante a emmené le comte, si je vous avais dit ce que je viens de vous écrire, l’ayant dit une fois, j’aurais été comme le tigre apprivoisé qui a remis ses dents à de la chair vivante, qui sent la chaleur du sang, et…


» Minuit,

» Je n’ai pu continuer, le souvenir de cette heure est encore trop vivant ! Oui, j’eus alors le délire. L’Espérance était dans vos yeux, la Victoire et ses pavillons rouges eussent brillé dans les miens et fasciné les vôtres. Mon crime a été de penser tout cela, peut-être à tort. Vous seule êtes le juge de cette terrible scène où j’ai pu refouler amour, désir, les forces les plus invincibles de l’homme, sous la main glaciale d’une reconnaissance qui doit être éternelle. Votre terrible mépris m’a puni. Vous m’avez prouvé qu’on ne revient ni du dégoût ni du mépris. Je vous aime comme un insensé. Je serais parti, Adam mort ; je dois à plus forte raison partir, Adam sauvé. L’on n’arrache pas son ami des bras de la mort pour le tromper. D’ailleurs, mon départ est la punition de la pensée que j’ai eue de le laisser périr quand les médecins m’ont dit que sa vie dépendait de ses garde-malades.