Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/416

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Watteville étaient morts et leurs successions liquidées. On vendit alors la maison de monsieur de Watteville pour s’établir rue de la Préfecture, dans le bel hôtel de Rupt dont le vaste jardin s’étend vers la rue du Perron. Madame de Watteville, jeune fille dévote, fut encore plus dévote après son mariage. Elle est une des reines de la sainte confrérie qui donne à la haute société de Besançon un air sombre et des façons prudes en harmonie avec le caractère de cette ville. De là le nom de Philomène imposé à sa fille, née en 1817, au moment où le culte de cette sainte ou de ce saint, car dans les commencements on ne savait à quel sexe appartenait ce squelette, devenait une sorte de folie religieuse en Italie, et un étendard pour l’Ordre des Jésuites.

Monsieur le baron de Watteville, homme sec, maigre et sans esprit, paraissait usé, sans qu’on pût savoir à quoi, car il jouissait d’une ignorance crasse ; mais comme sa femme était d’un blond ardent et d’une nature sèche devenue proverbiale (on dit encore pointue comme madame de Watteville), quelques plaisants de la magistrature prétendaient que le baron s’était usé contre cette roche. Rupt vient évidemment de rupes. Les savants observateurs de la nature sociale ne manqueront pas de remarquer que Philomène fut l’unique fruit du mariage des Watteville et des Rupt.

Monsieur de Watteville passait sa vie dans un riche atelier de tourneur, il tournait ! Comme complément à cette existence, il s’était donné la fantaisie des collections. Pour les médecins philosophes adonnés à l’étude de la folie, cette tendance à collectionner est un premier degré d’aliénation mentale, quand elle se porte sur les petites choses. Le baron de Watteville amassait les coquillages, les insectes et les fragments géologiques du territoire de Besançon. Quelques contradicteurs, des femmes surtout, disaient de monsieur de Watteville : — Il a une belle âme ! il a vu, dès le début de son mariage, qu’il ne l’emporterait pas sur sa femme, il s’est alors jeté dans une occupation mécanique et dans la bonne chère.

L’hôtel de Rupt ne manquait pas d’une certaine splendeur digne de celle de Louis XIV, et se ressentait de la noblesse des deux familles, confondues en 1815. Il y brillait un vieux luxe qui ne se savait pas de mode. Les lustres de vieux cristaux taillés en forme de feuilles, les lampasses, les damas, les tapis, les meubles dorés, tout était en harmonie avec les vieilles livrées et les vieux domestiques. Quoique servie dans une noire argenterie de famille, autour d’un