Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/428

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la cour en présentant des titres en règle, et il a mis des cartes chez tous ses nouveaux confrères, chez les officiers ministériels, chez les Conseillers de la cour et chez tous les membres du tribunal, une carte où se lisait : Albert Savaron.

— Le nom de Savaron est célèbre, dit mademoiselle Philomène, qui était très-forte en science héraldique. Les Savaron de Savarus sont une des plus vieilles, des plus nobles et des plus riches familles de Belgique.

— Il est Français et troubadour, reprit Amédée de Soulas. S’il veut prendre les armes des Savaron de Savarus, il y mettra une barre. Il n’y a plus en Brabant qu’une demoiselle Savarus, une riche héritière à marier.

— La barre est signe de bâtardise ; mais le bâtard d’un comte de Savarus est noble, reprit Philomène.

— Assez, Philomène ! dit la baronne.

— Vous avez voulu qu’elle sût le blason, fit monsieur de Watteville, elle le sait bien !

— Continuez, Amédée.

— Vous comprenez que dans une ville où tout est classé, défini, connu, casé, chiffré, numéroté comme à Besançon, Albert Savaron a été reçu par nos avocats sans aucune difficulté. Chacun s’est contenté de dire : Voilà un pauvre diable qui ne sait pas son Besançon. Qui diable a pu lui conseiller de venir ici ? qu’y prétend-il faire ? Envoyer sa carte chez les magistrats au lieu d’y aller en personne ?… quelle faute ! Aussi, trois jours après, plus de Savaron. Il a pris pour domestique l’ancien valet de chambre de feu monsieur Galard, Jérôme qui sait faire un peu de cuisine. On a d’autant mieux oublié Albert Savaron que personne ne l’a ni vu ni rencontré.

— Il ne va donc pas à la messe ? dit madame de Chavoncourt.

— Il y va le dimanche, à Saint-Jean, mais à la première messe, à huit heures. Il se lève toutes les nuits entre une heure et deux du matin, il travaille jusqu’à huit heures, il déjeune, et après il travaille encore. Il se promène dans le jardin, il en fait cinquante fois, soixante fois le tour ; il rentre, dîne, et se couche entre six et sept heures.

— Comment savez-vous tout cela ? dit madame de Chavoncourt à monsieur de Soulas.

— D’abord, madame, je demeure rue Neuve au coin de la rue du Perron, j’ai vue sur la maison où loge ce mystérieux person-