Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/490

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les lettres, le chant, la musique, lui ont pris la moitié de ses sens et de son intelligence. Elle est vieille d’ailleurs, elle a plus de trente ans, et mon Albert serait malheureux !

— Qu’avez-vous donc à rester là, Philomène ? lui dit sa mère en venant troubler les réflexions de sa fille. Monsieur de Soulas est au salon, et il remarquait votre attitude qui, certes, annonçait plus de pensées qu’on ne doit en avoir à votre âge.

— Monsieur de Soulas est ennemi de la pensée ? demanda-t-elle.

— Vous pensiez donc ? dit madame de Watteville.

— Mais oui, maman.

— Eh ! bien, non, vous ne pensiez pas. Vous regardiez les fenêtres de cet avocat ; occupation qui n’est ni convenable ni décente, et que monsieur de Soulas moins qu’un autre devait remarquer.

— Eh ! pourquoi ? dit Philomène.

— Mais, dit la baronne, il est temps que vous sachiez nos intentions : Amédée vous trouve bien, et vous ne serez pas malheureuse d’être comtesse de Soulas.

Pâle comme un lis, Philomène ne répondit rien à sa mère, tant la violence de ses sentiments contrariés la rendit stupide. Mais en présence de cet homme qu’elle haïssait profondément depuis un instant, elle trouva je ne sais quel sourire que trouvent les danseuses pour le public. Enfin elle put rire, elle eut la force de cacher sa fureur qui se calma, car elle résolut d’employer à ses desseins ce gros et niais jeune homme.

— Monsieur Amédée, lui dit-elle pendant un moment où la baronne était en avant d’eux dans le jardin en affectant de laisser les jeunes gens seuls, vous ignoriez donc que monsieur Albert Savaron de Savarus est légitimiste ?

— Légitimiste ?

— Avant 1830, il était maître des requêtes au conseil d’état, attaché à la présidence du conseil des ministres, bien vu du Dauphin et de la Dauphine. Il eût été bien à vous de ne pas dire du mal de lui ; mais il serait encore mieux d’aller aux Élections cette année, de le porter et d’empêcher ce pauvre monsieur de Chavoncourt de représenter la ville de Besançon.

— Quel intérêt subit prenez-vous donc à ce Savaron ?

— Monsieur Albert de Savarus, fils naturel du comte de Savarus (oh ! gardez-moi bien le secret sur cette indiscrétion), s’il est