Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, I.djvu/498

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Grancey, sans lui dire un mot, le tint dans ses bras, le serra, laissant aller sa tête sur l’épaule de ce vieillard. Et il redevint enfant, il pleura comme il avait pleuré quand il sut que Francesca Soderini était mariée. Il ne laissa voir sa faiblesse qu’à ce prêtre sur le visage de qui brillaient les lueurs d’une espérance. Le prêtre avait été sublime, et aussi fin que sublime.

— Pardon, cher abbé, mais vous êtes venu dans un de ces moments suprêmes où l’homme disparaît, car ne me croyez pas un ambitieux vulgaire.

— Oui, je le sais, reprit l’abbé, vous avez écrit l’ambitieux par amour ! Hé ! mon enfant, c’est un désespoir d’amour qui m’a fait prêtre en 1786, à vingt-deux ans. En 1788, j’étais curé. Je sais la vie. J’ai déjà refusé trois évêchés, je veux mourir à Besançon.

— Venez la voir ? s’écria Savarus en prenant la bougie et menant l’abbé dans le cabinet magnifique où se trouvait le portrait de la duchesse d’Argaiolo qu’il éclaira.

— C’est une de ces femmes qui sont faites pour régner ! dit le vicaire en comprenant ce qu’Albert lui témoignait d’affection par cette muette confidence. Mais il y a bien de la fierté sur ce front, il est implacable, elle ne pardonnerait pas une injure ! C’est un archange Michel, l’ange des exécutions, l’ange inflexible… Tout ou rien ! est la devise de ces caractères angéliques. Il y a je ne sais quoi de divinement sauvage dans cette tête !…

— Vous l’avez bien devinée, s’écria Savarus. Mais, mon cher abbé, voici plus de douze ans qu’elle règne sur ma vie, et je n’ai pas une pensée à me reprocher…

— Ah ! si vous en aviez autant fait pour Dieu ?… dit naïvement l’abbé. Parlons de vos affaires. Voici dix jours que je travaille pour vous. Si vous êtes un vrai politique, vous suivrez mes conseils cette fois-ci. Vous n’en seriez pas où vous en êtes, si vous étiez allé quand je vous le disais à l’hôtel de Rupt ; mais vous irez demain, je vous y présente le soir. La terre des Rouxey est menacée il faut plaider dans deux jours. L’Élection ne se fera pas avant trois jours. On aura soin de ne pas avoir fini de constituer le bureau le premier jour ; nous aurons plusieurs scrutins, et vous arriverez par un ballottage…

— Et comment ?…

— En gagnant le procès des Rouxey, vous aurez quatre-vingts voix légitimistes, ajoutez-les aux trente voix dont je dispose, nous