Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/144

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une voix. Je lui pris la main, mais elle n’obéissait plus, elle se roidissait. Je lui mis alors la tasse aux lèvres ; le pauvre petit but d’une manière effrayante, par trois ou quatre gorgées convulsives, et l’eau fit un bruit singulier dans son gosier. Enfin, il s’accrocha désespérément à moi, et j’aperçus ses yeux, tirés par une force intérieure, devenir blancs, ses membres perdre leur souplesse. Je jetai des cris affreux. Louis vint. — Un médecin ! un médecin ! il meurt ! lui criai-je. Louis disparut, et mon pauvre Armand dit encore : — Maman ! maman ! en se cramponnant à moi. Ce fut le dernier moment où il sut qu’il avait une mère. Les jolis vaisseaux de son front se sont injectés, et la convulsion a commencé. Une heure avant l’arrivée des médecins, je tenais cet enfant si vivace, si blanc et rose, cette fleur qui faisait mon orgueil et ma joie, roide comme un morceau de bois, et quels yeux ! je frémis en me les rappelant. Noir, crispé, rabougri, muet, mon gentil Armand était une momie. Un médecin, deux médecins amenés de Marseille par Louis, restaient là plantés sur leurs jambes comme des oiseaux de mauvais augure, ils me faisaient frissonner. L’un parlait de fièvre cérébrale, l’autre voyait des convulsions comme en ont les enfants. Le médecin de notre canton me paraissait être le plus sage parce qu’il ne prescrivait rien. — C’est les dents, disait le second. — C’est une fièvre, disait le premier. Enfin, on convint de mettre des sangsues au cou et de la glace sur la tête. Je me sentais mourir. Être là, voir un cadavre bleu ou noir, pas un cri, pas un mouvement, au lieu d’une créature si bruyante et si vive ! Il y eut un moment où ma tête s’est égarée, et où j’ai eu comme un rire nerveux en voyant ce joli cou, que j’avais tant baisé, mordu par des sangsues, et cette charmante tête sous une calotte de glace. Ma chère, il a fallu lui couper cette jolie chevelure que nous admirions tant, et que tu avais caressée, pour pouvoir mettre la glace. De dix en dix minutes, comme dans mes douleurs d’accouchement, la convulsion revenait, et le pauvre petit se tordait, tantôt pâle, tantôt violet. En se rencontrant, ses membres si flexibles rendaient un son comme si c’eût été du bois. Cette créature insensible m’avait souri, m’avait parlé, m’appelait naguère encore maman ! À ces idées, des masses de douleurs me traversaient l’âme, en l’agitant comme des ouragans agitent la mer, et je sentais tous les liens par lesquels un enfant tient à notre cœur ébranlés. Ma mère, qui peut-être m’aurait aidée, conseillée ou consolée, est à Paris. Les mères en savent plus sur les convulsions que