Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/176

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bonne, Armand couronné. Ton filleul a eu le premier prix de version. À la distribution des prix du collége Henri IV, il a obtenu deux premiers prix, celui de vers et celui de thème. Je suis devenue blême en entendant proclamer son nom, et j’avais envie de crier : Je suis la mère ! Naïs me serrait la main à me faire mal, si l’on pouvait sentir une douleur dans un pareil moment. Ah ! Louise, cette fête vaut bien des amours perdues.

Les triomphes du frère ont stimulé mon petit René, qui veut aller au collége comme son aîné. Quelquefois ces trois enfants crient, se remuent dans la maison, et font un tapage à fendre la tête. Je ne sais pas comment j’y résiste, car je suis toujours avec eux ; je ne me suis jamais fiée à personne, pas même à Mary, du soin de surveiller mes enfants. Mais il y a tant de joies à recueillir dans ce beau métier de mère ! Voir un enfant quittant le jeu pour venir m’embrasser comme poussé par un besoin… quelle joie ! Puis on les observe alors bien mieux. Un des devoirs d’une mère est de démêler dès le jeune âge les aptitudes, le caractère, la vocation de ses enfants, ce qu’aucun pédagogue ne saurait faire. Tous les enfants élevés par leurs mères ont de l’usage et du savoir-vivre, deux acquisitions qui suppléent à l’esprit naturel, tandis que l’esprit naturel ne supplée jamais à ce que les hommes apprennent de leurs mères. Je reconnais déjà ces nuances chez les hommes dans les salons, où je distingue aussitôt les traces de la femme dans les manières d’un jeune homme. Comment destituer ses enfants d’un pareil avantage ? Tu le vois, mes devoirs accomplis sont fertiles en trésors, en jouissances.

Armand, j’en ai la certitude, sera le plus excellent magistrat, le plus probe administrateur, le député le plus consciencieux qui puisse jamais se trouver ; tandis que mon René sera le plus hardi, le plus aventureux et en même temps le plus rusé marin du monde. Ce petit drôle a une volonté de fer ; il a tout ce qu’il veut, il prend mille détours pour arriver à son but, et si les mille ne l’y mènent pas, il en trouve un mille et unième. Là où mon cher Armand se résigne avec calme en étudiant la raison des choses, mon René tempête, s’ingénie, combine en parlottant sans cesse, et finit par découvrir un joint ; s’il y peut faire passer une lame de couteau, bientôt il y fait entrer sa petite voiture.

Quant à Naïs, c’est tellement moi, que je ne distingue pas sa chair de la mienne. Ah ! la chérie, la petite fille aimée que je me plais à rendre coquette, de qui je tresse les cheveux et les boucles en