Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/265

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temps un mot spirituel, on prend un air calme au moment où l’on éprouve le plus d’envie de jeter les gens par les fenêtres, on raille doucement, on feint de distinguer la femme que l’on adore, et l’on ne se roule pas comme un âne au milieu du grand chemin. Ici, mon cher, on aime suivant la formule. Ou enlève madame de Vandenesse, ou montre-toi gentilhomme. Tu es trop l’amant d’un de tes livres.

Nathan écoutait la tête baissée, il était comme un lion pris dans des toiles.

— Je ne remettrai jamais les pieds ici, dit-il. Cette marquise de papier mâché me vend son thé trop cher. Elle me trouve amusant ! Je comprends maintenant pourquoi Saint-Just guillotinait tout ce monde-là !

— Tu y reviendras demain.

Blondet avait dit vrai. Les passions sont aussi lâches que cruelles. Le lendemain, après avoir long-temps flotté entre : J’irai, je n’irai pas, Raoul quitta ses associés au milieu d’une discussion importante, et courut au faubourg Saint-Honoré, chez madame d’Espard. En voyant entrer le brillant cabriolet de Rastignac, pendant qu’il payait son cocher à la porte, la vanité de Nathan fut blessée ; il résolut d’avoir un élégant cabriolet et le tigre obligé. L’équipage de la comtesse était dans la cour. À cette vue, le cœur de Raoul se gonfla de plaisir. Marie marchait sous la pression de ses désirs avec la régularité d’une aiguille d’horloge animée par son ressort. Elle était au coin de la cheminée, dans le petit salon, étendue dans un fauteuil. Au lieu de regarder Nathan quand on l’annonça, elle le contempla dans la glace, sûre que la maîtresse de la maison se tournerait vers lui. Traqué comme il l’est dans le monde, l’amour est obligé d’avoir recours à ces petites ruses : il donne la vie aux miroirs, aux manchons, aux éventails, à une foule de choses dont l’utilité n’est pas tout d’abord démontrée et dont beaucoup de femmes usent sans s’en servir.

— Monsieur le ministre, dit madame d’Espard en s’adressant à Nathan et lui présentant de Marsay par un regard, soutenait, au moment où vous entriez, que les royalistes et les républicains s’entendent ; vous devez en savoir quelque chose, vous ?

— Quand cela serait, dit Raoul, où est le mal ? Nous haïssons le même objet, nous sommes d’accord dans notre haine, nous différons dans notre amour. Voilà tout.