Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/336

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le lendemain, il alla faire le tour du petit enclos de Courcelles ; mais à la nuit tombante, car il avait peur d’être aperçu par la vicomtesse. Le sentiment auquel il obéissait alors appartient à une nature d’âme si mystérieuse, qu’il faut être encore jeune homme, ou se trouver dans une situation semblable, pour en comprendre les muettes félicités et les bizarreries ; toutes choses qui feraient hausser les épaules aux gens assez heureux pour toujours voir le positif de la vie. Après des hésitations cruelles, Gaston écrivit à madame de Beauséant la lettre suivante, qui peut passer pour un modèle de la phraséologie particulière aux amoureux, et se comparer aux dessins faits en cachette par les enfants pour la fête de leurs parents ; présents détestables pour tout le monde, excepté pour ceux qui les reçoivent.


« Madame,

» Vous exercez un si grand empire sur mon cœur, sur mon âme et ma personne, qu’aujourd’hui ma destinée dépend entièrement de vous. Ne jetez pas ma lettre au feu. Soyez assez bienveillante pour la lire. Peut-être me pardonnerez-vous cette première phrase en vous apercevant que ce n’est pas une déclaration vulgaire ni intéressée, mais l’expression d’un fait naturel. Peut-être serez-vous touchée par la modestie de mes prières, par la résignation que m’inspire le sentiment de mon infériorité, par l’influence de votre détermination sur ma vie. À mon âge, madame, je ne sais qu’aimer, j’ignore entièrement et ce qui peut plaire à une femme et ce qui la séduit ; mais je me sens au cœur, pour elle, d’enivrantes adorations. Je suis irrésistiblement attiré vers vous par le plaisir immense que vous me faites éprouver, et pense à vous avec tout l’égoïsme qui nous entraîne, là où, pour nous, est la chaleur vitale. Je ne me crois pas digne de vous. Non, il me semble impossible à moi, jeune, ignorant, timide, de vous apporter la millième partie du bonheur que j’aspirais en vous entendant, en vous voyant. Vous êtes pour moi la seule femme qu’il y ait dans le monde. Ne concevant point la vie sans vous, j’ai pris la résolution de quitter la France et d’aller jouer mon existence jusqu’à ce que je la perde dans quelque entreprise impossible, aux Indes, en Afrique, je ne sais où. Ne faut-il pas que je combatte un amour sans bornes par quelque chose d’infini ? Mais si vous voulez me laisser l’espoir, non pas d’être à