Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/409

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rut content de moi. — Je paierai moi-même, reprit-il, la charge à votre patron, de manière à m’établir un privilége bien solide sur le prix et le cautionnement. — Oh ! tout ce que vous voudrez pour les garanties. — Puis, vous m’en représenterez la valeur en quinze lettres de change acceptées en blanc, chacune pour une somme de dix mille francs. — Pourvu que cette double valeur soit constatée. — Non, s’écria Gobseck en m’interrompant. Pourquoi voulez-vous que j’aie plus de confiance en vous que vous n’en avez en moi ? Je gardai le silence. — Et puis vous ferez, dit-il en continuant avec un ton de bonhomie, mes affaires sans exiger d’honoraires tant que je vivrai, n’est-ce pas ? — Soit, pourvu qu’il n’y ait pas d’avances de fonds. — Juste ! dit-il. Ah çà, reprit le vieillard dont la figure avait peine à prendre un air de bonhomie, vous me permettrez d’aller vous voir ? — Vous me ferez toujours plaisir. — Oui, mais le matin cela sera bien difficile. Vous aurez vos affaires et j’ai les miennes. — Venez le soir. — Oh ! non, répondit-il vivement, vous devez aller dans le monde, voir vos clients. Moi j’ai mes amis, à mon café. — Ses amis ! pensai-je. Eh ! bien, dis-je ? pourquoi ne pas prendre l’heure du dîner ? — C’est cela, dit Gobseck. Après la Bourse, à cinq heures. Eh ! bien, vous me verrez tous les mercredis et les samedis. Nous causerons de nos affaires comme un couple d’amis. Ah ! ah ! je suis gai quelquefois. Donnez-moi une aile de perdrix et un verre de vin de Champagne, nous causerons. Je sais bien des choses qu’aujourd’hui l’on peut dire, et qui vous apprendront à connaître les hommes et surtout les femmes. — Va pour la perdrix et le verre de vin de Champagne. — Ne faites pas de folies, autrement vous perdriez ma confiance. Ne prenez pas un grand train de maison. Ayez une vieille bonne, une seule. J’irai vous visiter pour m’assurer de votre santé. J’aurai un capital placé sur votre tête, hé ! hé ! je dois m’informer de vos affaires. Allons, venez ce soir avec votre patron. — Pourriez-vous me dire, s’il n’y a pas d’indiscrétion à le demander, dis-je au petit vieillard quand nous atteignîmes au seuil de la porte, de quelle importance était mon extrait de baptême dans cette affaire ? Jean-Esther Van Gobseck haussa les épaules, sourit malicieusement et me répondit : — Combien la jeunesse est sotte ! Apprenez donc, monsieur l’avoué, car il faut que vous le sachiez pour ne pas vous laisser prendre, qu’avant trente ans la probité et le talent sont encore des espèces d’hypothèques. Passé cet âge, l’on ne peut plus compter sur un homme.