Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/421

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comme un homme passionné. — Le comte vous doit les frais de l’acte, s’écria-t-il en me voyant prendre congé de lui. Quelques jours après cette scène qui m’avait initié aux terribles mystères de la vie d’une femme à la mode, je vis entrer le comte un matin dans mon cabinet. — Monsieur, dit-il, je viens vous consulter sur des intérêts graves, en vous déclarant que j’ai en vous la confiance la plus entière, et j’espère vous en donner des preuves. Votre conduite envers madame de Grandlieu, dit le comte, est au-dessus de tout éloge.

— Vous voyez, madame, dit l’avoué à la vicomtesse que j’ai mille fois reçu de vous le prix d’une action bien simple. Je m’inclinai respectueusement et répondis que je n’avais fait que remplir un devoir d’honnête homme. — Eh ! bien, monsieur, j’ai pris beaucoup d’informations sur le singulier personnage auquel vous devez votre état, me dit le comte. D’après tout ce que j’en sais, je reconnais en Gobseck un philosophe de l’école cynique. Que pensez-vous de sa probité ? — Monsieur le comte, répondis-je, Gobseck est mon bienfaiteur… à quinze pour cent, ajoutai-je en riant. Mais son avarice ne m’autorise pas à le peindre ressemblant au profit d’un inconnu. — Parlez, monsieur ! Votre franchise ne peut nuire ni à Gobseck ni à vous. Je ne m’attends pas à trouver un ange dans un prêteur sur gages. — Le papa Gobseck, repris-je, est intimement convaincu d’un principe qui domine sa conduite. Selon lui, l’argent est une marchandise que l’on peut, en toute sûreté de conscience, vendre cher ou bon marché, suivant les cas. Un capitaliste est à ses yeux un homme qui entre, par le fort denier qu’il réclame de son argent, comme associé par anticipation dans les entreprises et les spéculations lucratives. A part ses principes financiers et ses observations philosophiques sur la nature humaine qui lui permettent de se conduire en apparence comme un usurier, je suis intimement persuadé que, sorti de ses affaires, il est l’homme le plus délicat et le plus probe qu’il y ait à Paris. Il existe deux hommes en lui : il est avare et philosophe, petit et grand. Si je mourais en laissant des enfants il serait leur tuteur. Voilà, monsieur, sous quel aspect l’expérience m’a montré Gobseck. Je ne connais rien de sa vie passée. Il peut avoir été corsaire, il a peut-être traversé le monde entier en trafiquant des diamants ou des hommes, des femmes ou des secrets d’État, mais je jure qu’aucune âme humaine n’a été ni plus fortement trempée ni mieux éprouvée. Le jour où je lui ai porté la somme qui m’acquit-