Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/456

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populaires. Les femmes qui pouvaient fonder des salons européens, commander l’opinion, la retourner comme un gant, dominer le monde en dominant les hommes d’art ou de pensée qui devaient le dominer, ont commis la faute d’abandonner le terrain, honteuses d’avoir à lutter avec une bourgeoisie enivrée de pouvoir et débouchant sur la scène du monde pour s’y faire peut-être hacher en morceaux par les barbares qui la talonnent. Aussi, là où les bourgeois veulent voir des princesses, n’aperçoit-on que des jeunes personnes comme il faut. Aujourd’hui les princes ne trouvent plus de grandes dames à compromettre, ils ne peuvent même plus illustrer une femme prise au hasard. Le duc de Bourbon est le dernier prince qui ait usé de ce privilége.

— Et Dieu sait seul ce qu’il lui en coûte ! dit lord Dudley.

— Aujourd’hui, les princes ont des femmes comme il faut, obligées de payer en commun leur loge avec des amies, et que la faveur royale ne grandirait pas d’une ligne, qui filent sans éclat entre les eaux de la bourgeoisie et celles de la noblesse, ni tout à fait nobles, ni tout à fait bourgeoises, dit amèrement la comtesse de Montcornet.

— La Presse a hérité de la Femme, s’écria le marquis de Vandenesse. La femme n’a plus le mérite du feuilleton parlé, des délicieuses médisances ornées de beau langage. Nous lisons des feuilletons écrits dans un patois qui change tous les trois ans, de petits journaux plaisants comme des croque-morts, et légers comme le plomb de leurs caractères. Les conversations françaises se font en iroquois révolutionnaire d’un bout à l’autre de la France par de longues colonnes imprimées dans des hôtels où grince une presse à la place des cercles élégants qui y brillaient jadis.

— Le glas de la haute société sonne, entendez-vous ! dit un prince russe, et le premier coup est votre mot moderne de femme comme il faut !

— Vous avez raison, mon prince, dit de Marsay. Cette femme, sortie des rangs de la noblesse, ou poussée de la bourgeoisie, venue de tout terrain, même de la province, est l’expression du temps actuel, une dernière image du bon goût, de l’esprit, de la grâce, de la distinction réunis, mais amoindris. Nous ne verrons plus de grandes dames en France, mais il y aura pendant longtemps des femmes comme il faut, envoyées par l’opinion publique dans une haute chambre féminine, et qui seront pour le beau sexe ce qu’est le gentleman en Angleterre.