Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/459

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verse-t-elle Paris comme un fil de la vierge, blanche et pure. Celle belle espèce affectionne les latitudes les plus chaudes, les longitudes les plus propres de Paris ; vous la trouverez entre la 10e et la 110e arcade de la rue de Rivoli ; sous la Ligne des boulevards, depuis l’Équateur des Panoramas, où fleurissent les productions des Indes, où s’épanouissent les plus chaudes créations de l’industrie, jusqu’au cap de la Madeleine ; dans les contrées les moins crottées de bourgeoisie, entre le 30e et le 150e numéro de la rue du Faubourg-Saint-Honoré. Durant l’hiver, elle se plaît sur la terrasse des Feuillants, et point sur le trottoir en bitume qui la longe. Selon le temps, elle vole dans l’allée des Champs-Élysées, bordée à l’est par la place Louis XV, à l’ouest par l’avenue de Marigny, au midi par la chaussée, au nord par les jardins du Faubourg Saint-Honoré. Jamais vous ne rencontrerez cette jolie variété de femme dans les régions hyperboréales de la rue Saint-Denis, jamais dans les Kamtschatka des rues boueuses, petites ou commerciales ; jamais nulle part par le mauvais temps. Ces fleurs de Paris éclosent par un temps oriental, parfument les promenades, et, passé cinq heures, se replient comme les belles de jour. Les femmes que vous verrez plus tard ayant un peu de leur air, essayant de les singer, sont des femmes comme il en faut ; tandis que la belle inconnue, votre Béatrix de la journée, est la femme comme il faut. Il n’est pas facile pour les étrangers, cher comte, de reconnaître les différences auxquelles les observateurs émérites les distinguent, tant la femme est comédienne, mais elles crèvent les yeux aux Parisiens : c’est des agrafes mal cachées, des cordons qui montrent leur lacis d’un blanc roux au dos de la robe par une fente entrebâillée, des souliers éraillés, des rubans de chapeau repassés, une robe trop bouffante, une tournure trop gommée. Vous remarquerez une sorte d’effort dans l’abaissement prémédité de la paupière. Il y a de la convention dans la pose. Quant à la bourgeoise, il est impossible de la confondre avec la femme comme il faut ; elle la fait admirablement ressortir, elle explique le charme que vous a jeté votre inconnue. La bourgeoise est affairée, sort par tous les temps, trotte, va, vient, regarde, ne sait pas si elle entrera, si elle n’entrera pas dans un magasin. Là où la femme comme il faut sait bien ce qu’elle veut et ce qu’elle fait, la bourgeoise est indécise, retrousse sa robe pour passer un ruisseau, traîne avec elle un enfant qui l’oblige à guetter les voitures ; elle est mère en public, et cause avec sa fille ;