Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/56

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fera mon programme, quel sang est dans ses veines. Je pris le papier des mains de Griffith en disant : — Voyons si j’ai bien copié ? car tout était de mon écriture. Je la lui tendis, et l’examinai pendant qu’il lisait ceci.


« L’homme qui me plaira, ma chère, devra être rude et orgueilleux avec les hommes, mais doux avec les femmes. Son regard d’aigle saura réprimer instantanément tout ce qui peut ressembler au ridicule. Il aura un sourire de pitié pour ceux qui voudraient tourner en plaisanterie les choses sacrées, celles surtout qui constituent la poésie du cœur, et sans lesquelles la vie ne serait plus qu’une triste réalité. Je méprise profondément ceux qui voudraient nous ôter la source des idées religieuses, si fertiles en consolations. Aussi, ses croyances devront-elles avoir la simplicité de celles d’un enfant unie à la conviction inébranlable d’un homme d’esprit qui a approfondi ses raisons de croire. Son esprit, neuf, original, sera sans affectation ni parade : il ne peut rien dire qui soit de trop ou déplacé ; il lui serait aussi impossible d’ennuyer les autres que de s’ennuyer lui-même, car il aura dans son âme un fonds riche. Toutes ses pensées doivent être d’un genre noble, élevé, chevaleresque, sans aucun égoïsme. En toutes ses actions, on remarquera l’absence totale du calcul ou de l’intérêt. Ses défauts proviendront de l’étendue même de ses idées, qui seront au-dessus de son temps. En toute chose, je dois le trouver en avant de son époque. Plein d’attentions délicates dues aux êtres faibles, il sera bon pour toutes les femmes, mais bien difficilement épris d’aucune : il regardera cette question comme beaucoup trop sérieuse pour en faire un jeu. Il se pourrait donc qu’il passât sa vie sans aimer véritablement, en montrant en lui toutes les qualités qui peuvent inspirer une passion profonde. Mais s’il trouve une fois son idéal de femme, celle entrevue dans ces songes qu’on fait les yeux ouverts ; s’il rencontre un être qui le comprenne, qui remplisse son âme et jette sur toute sa vie un rayon de bonheur, qui brille pour lui comme une étoile à travers les nuages de ce monde si sombre, si froid, si glacé ; qui donne un charme tout nouveau à son existence, et fasse vibrer en lui des cordes muettes jusque-là, je crois inutile de dire qu’il saura reconnaître et apprécier son bonheur. Aussi la rendra-t-il parfaitement heureuse. Jamais, ni par un mot, ni par