Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/184

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Le trésor, vous l’avez écorné. Je vous pardonne, cher poëte, vous vivez à Paris ; et, comme vous le dites, il y a un homme dans un poëte. Me prendrez-vous, à cause de ceci, pour une petite fille qui cultive le parterre enchanté des illusions ? Ne vous amusez pas à jeter des pierres dans les vitraux cassés d’un château ruiné depuis longtemps. Vous, homme d’esprit, comment n’avez-vous pas deviné que la leçon de votre pédante première lettre, mademoiselle d’Este se l’était dite à elle-même ! Non, cher poëte, ma première lettre ne fut pas le caillou de l’enfant qui va gabant le long des chemins, qui se plaît à effrayer un propriétaire lisant la cote de ses contributions à l’abri de ses espaliers ; mais bien la ligne appliquée avec prudence par un pêcheur du haut d’une roche au bord de la mer, espérant une pêche miraculeuse.

» Tout ce que vous dites de beau sur la Famille a mon approbation. L’homme qui me plaira, de qui je me croirai digne, aura mon cœur et ma vie, de l’aveu de mes parents ; je ne veux ni les affliger, ni les surprendre ; j’ai la certitude de régner sur eux, ils sont d’ailleurs sans préjugés. Enfin, je me sens forte contre les illusions de ma fantaisie. J’ai bâti de mes mains une forteresse, et je l’ai laissé fortifier par le dévouement sans bornes de ceux qui veillent sur moi comme sur un trésor, non que je ne sois de force à me défendre en plaine ; car, sachez-le, le hasard m’a revêtu d’une armure bien trempée, et sur laquelle est gravé le mot mépris. J’ai l’horreur la plus profonde de tout ce qui sent le calcul, de ce qui n’est pas entièrement noble, pur, désintéressé. J’ai le culte du beau, de l’idéal, sans être romanesque, mais après l’avoir été, pour moi seule, dans mes rêves. Aussi ai-je reconnu la vérité des choses, justes jusqu’à la vulgarité, que vous m’avez écrites sur la vie sociale.

» Pour le moment, nous ne sommes et ne pouvons être que deux amis. Pourquoi chercher un ami dans un inconnu ? direz-vous. Votre personne m’est inconnue, mais votre esprit, votre cœur me sont connus, ils me plaisent, et je me sens des sentiments infinis dans l’âme qui veulent un homme de génie pour unique confident. Je ne veux pas que le poëme de mon cœur soit inutile, il brillera pour vous comme il eût brillé pour Dieu seul. Quelle chose précieuse qu’un bon camarade à qui l’on peut tout dire ! Refuserez-vous les fleurs inédites de la jeune fille vraie qui