Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/190

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choses, il reste muet. Moi je veux trouver en vous les réponses que Dieu ne nous fait pas. L’amitié de mademoiselle de Gournay et de Montaigne ne peut-elle se recommencer ? Ne connaissez-vous pas le ménage de Sismonde de Sismondi à Genève, le plus touchant intérieur que l’on connaisse et dont on m’a parlé, quelque chose comme le marquis et la marquise de Pescaire heureux jusque dans leur vieillesse ? Mon Dieu ! serait-il impossible qu’il existât, comme dans une symphonie, deux harpes qui, à distance, se répondent, vibrent, et produisent une délicieuse mélodie ? L’homme, seul dans la création, est à la fois la harpe, le musicien et l’écouteur. Me voyez-vous inquiète à la manière des femmes ordinaires ? Ne sais-je pas que vous allez dans le monde, que vous y voyez les plus belles et les plus spirituelles femmes de Paris ? Ne puis-je présumer qu’une de ces sirènes daigne vous enlacer de ses froides écailles, et qu’elle a fait la réponse dont les prosaïques considérations m’attristent ? Il est, mon ami, quelque chose de plus beau que ces fleurs de la coquetterie parisienne, il existe une fleur qui croît en haut de ces pics alpestres, nommés hommes de génie, l’orgueil de l’humanité qu’ils fécondent en y versant les nuages puisés avec leurs têtes dans les cieux ; cette fleur, je la veux cultiver et faire épanouir, car ses sauvages et doux parfums ne nous manqueront jamais, ils sont éternels.

» Faites-moi l’honneur de ne croire à rien de vulgaire en moi. Si j’eusse été Bettina, car je sais à qui vous avez fait allusion, je n’aurais jamais été madame d’Arnim ; et si j’avais été l’une des femmes de lord Byron, je serais à cette heure dans un couvent. Vous m’avez atteinte à l’endroit sensible. Vous ne me connaissez pas, vous me connaîtrez. Je sens en moi quelque chose de sublime dont on peut parler sans vanité. Dieu a mis dans mon âme la racine de cette plante hybride née au sommet de ces Alpes dont je viens de parler, et que je ne veux pas mettre dans un pot de fleurs, sur ma croisée, pour l’y voir mourir. Non, ce magnifique calice, unique, aux odeurs enivrantes, ne sera pas traîné dans les vulgarités de la vie ; il est à vous, à vous sans qu’aucun regard le flétrisse, à vous à jamais ! Oui, cher, à vous toutes mes pensées, même les plus secrètes, les plus folles ; à vous un cœur de jeune fille sans réserve, à vous une affection infinie. Si votre personne ne me convient pas, je ne me marierai point. Je puis vivre de la vie du