Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/332

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nec plus ultrà des désirs d’une femme. Aussi le haut prix attaché à son estime par La Brière causa-t-il à Modeste une émotion d’une douceur infinie.

— Mademoiselle, dit Canalis en quittant le colonel et venant à Modeste, malgré le peu de cas que vous faites de mes sentiments, il importe à mon honneur d’effacer une tache que j’y ai trop longtemps soufferte. Cinq jours après mon arrivée ici, voici ce que m’écrivait la duchesse de Chaulieu.

Il fit lire à Modeste les premières lignes de la lettre où la duchesse disait avoir vu Mongenod et vouloir marier Melchior à Modeste ; puis il les lui remit après avoir déchiré le surplus.

— Je ne puis vous laisser voir le reste, dit-il en mettant le papier dans sa poche, mais je confie à votre délicatesse ces quelques lignes afin que vous puissiez en vérifier l’écriture. La jeune fille qui m’a supposé d’ignobles sentiments est bien capable de croire à quelque collusion, à quelque stratagème. Ceci peut vous prouver combien je tiens à vous démontrer que la querelle qui subsiste entre nous n’a pas eu chez moi pour base un vil intérêt. Ah ! Modeste, dit-il avec des larmes dans la voix, votre poëte, le poëte de madame de Chaulieu n’a pas moins de poésie dans le cœur que dans la pensée. Vous verrez la duchesse, suspendez votre jugement sur moi jusque-là.

Et il laissa Modeste abasourdie.

— Ah çà ! les voilà tous des anges, se dit-elle, ils sont inépousables, le duc seul appartient à l’humanité.

— Mademoiselle Modeste, cette chasse m’inquiète, dit Butscha qui parut en portant un paquet sous le bras. J’ai rêvé que vous étiez emportée par votre cheval, et je suis allé à Rouen vous chercher un mors espagnol, on m’a dit que jamais un cheval ne pouvait le prendre aux dents ; je vous supplie de vous en servir, je l’ai fait voir au colonel qui m’a déjà plus remercié que cela ne vaut.

— Pauvre cher Butscha ! s’écria Modeste émue aux larmes par ce soin maternel.

Butscha s’en alla sautillant comme un homme à qui l’on vient d’apprendre la mort d’un vieil oncle à succession.

— Mon cher père, dit Modeste en rentrant au salon, je voudrais bien avoir la belle cravache… si vous proposiez à monsieur de La Brière de l’échanger contre votre tableau de Van Ostade.

Modeste regarda sournoisement Ernest pendant que le colonel