Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/102

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vieillard, il disparaissait emmené, ou, pour mieux dire, emporté par elle. Si madame de Lanty n’était pas là, le comte employait mille stratagèmes pour arriver à lui ; mais il avait l’air de s’en faire écouter difficilement, et le traitait comme un enfant gâté dont la mère écoute les caprices ou redoute la mutinerie. Quelques indiscrets s’étant hasardés à questionner étourdiment le comte de Lanty, cet homme froid et réservé n’avait jamais paru comprendre l’interrogation des curieux. Aussi, après bien des tentatives, que la circonspection de tous les membres de cette famille rendit vaines, personne ne chercha-t-il à découvrir un secret si bien gardé. Les espions de bonne compagnie, les gobe-mouches et les politiques avaient fini, de guerre lasse, par ne plus s’occuper de ce mystère.

Mais, en ce moment il y avait peut-être au sein de ces salons resplendissants des philosophes qui, tout en prenant une glace, un sorbet, ou en posant sur une console leur verre vide de punch, se disaient : — Je ne serais pas étonné d’apprendre que ces gens-là sont des fripons. Ce vieux, qui se cache et n’apparaît qu’aux équinoxes ou aux solstices, m’a tout l’air d’un assassin…

— Ou d’un banqueroutier…

— C’est à peu près la même chose. Tuer la fortune d’un homme, c’est quelquefois pis que de le tuer lui-même.

— Monsieur, j’ai parié vingt louis, il m’en revient quarante.

— Ma foi ! monsieur, il n’en reste que trente sur le tapis…

— Hé ! bien, voyez-vous comme la société est mêlée ici. On n’y peut pas jouer.

— C’est vrai. Mais voilà bientôt six mois que nous n’avons aperçu l’Esprit. Croyez-vous que ce soit un être vivant ?

— Hé ! hé ! tout au plus…

Ces derniers mots étaient dits, autour de moi, par des inconnus qui s’en allèrent au moment où je résumais, dans une dernière pensée, mes réflexions mélangées de noir et de blanc, de vie et de mort. Ma folle imagination autant que mes yeux contemplait tour à tour et la fête, arrivée à son plus haut degré de splendeur, et le sombre tableau des jardins. Je ne sais combien de temps je méditai sur ces deux côtés de la médaille humaine ; mais soudain le rire étouffé d’une jeune femme me réveilla. Je restai stupéfait à l’aspect de l’image qui s’offrit à mes regards. Par un des plus rares caprices de la nature, la pensée en demi-deuil qui se roulait dans ma cer-