Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/286

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vos yeux. Vous vous direz en voyant la Vierge : Il y a de bonnes gens qui pensent à moi.

— J’accepte, dit Vauquelin.

Popinot et Birotteau s’essuyèrent les yeux, tant ils furent émus de l’accent de bonté que mit l’académicien à ce mot.

— Voulez-vous combler votre bonté, dit le parfumeur.

— Qu’est-ce ? fit Vauquelin.

— Je réunis quelques amis… Il se souleva sur les talons, en prenant néanmoins un air humble… Autant pour célébrer la délivrance du territoire, que pour fêter ma nomination dans l’ordre de la Légion-d’Honneur…

— Ah ! dit Vauquelin étonné.

— Peut-être me suis-je rendu digne de cette insigne et royale faveur en siégeant au tribunal consulaire et en combattant pour les Bourbons sur les marches de Saint-Roch au treize vendémiaire, où je fus blessé par Napoléon. Ma femme donne un bal dimanche dans vingt jours, venez-y, monsieur ? Faites-nous l’honneur de dîner avec nous ce jour-là. Pour moi, ce sera recevoir deux fois la croix. Je vous écrirai bien à l’avance.

— Eh ! bien, oui, dit Vauquelin.

— Mon cœur se gonfle de plaisir, s’écria le parfumeur dans la rue. Il viendra chez moi. J’ai peur d’avoir oublié ce qu’il a dit sur les cheveux, tu t’en souviens, Popinot ?

— Oui, monsieur, et dans vingt ans je m’en souviendrais encore.

— Ce grand homme ! quel regard et quelle pénétration ! dit Birotteau. Ah ! il n’en a fait ni une ni deux, du premier coup, il a deviné nos pensées, et nous a donné les moyens d’abattre l’huile de Macassar. Ah ! rien ne peut faire pousser les cheveux, Macassar, tu mens ! Popinot, nous tenons une fortune. Ainsi, demain, à sept heures, soyons à la fabrique, les noisettes viendront et nous ferons de l’huile, car il a beau dire que toute huile est bonne, nous serions perdus si le public le savait. S’il n’entrait pas dans notre huile un peu de noisette et de parfum, sous quel prétexte pourrions-nous la vendre trois on quatre francs les quatre onces !

— Vous allez être décoré, monsieur, dit Popinot. Quelle gloire pour…

— Pour le commerce, n’est-ce pas, mon enfant ?

L’air triomphant de César Birotteau sûr d’une fortune, fut remarqué par ses commis qui se firent des signes entre eux, car la course