Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/290

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sa mère était devant ses yeux, elle ne souhaitait pas d’autre vie, son instinct lui montrait dans Anselme un autre César perfectionné par l’éducation, comme elle l’était par la sienne : elle rêvait Popinot maire d’un arrondissement, et se plaisait à se peindre quêtant un jour à sa paroisse comme sa mère à Saint-Roch. Elle avait fini par ne plus s’apercevoir de la différence qui distinguait la jambe gauche de la jambe droite chez Popinot, elle eût été capable de dire : Mais boîte-t-il ? Elle aimait cette prunelle si limpide, et s’était plu à voir l’effet que produisait son regard sur ces yeux qui brillaient aussitôt d’un feu pudique et se baissaient mélancoliquement. Le premier clerc de Roguin, doué de cette précoce expérience due a l’habitude des affaires, Alexandre Crottat, avait un air moitié cynique, moitié bonasse qui révoltait Césarine, déjà révoltée par les lieux communs de sa conversation. Le silence de Popinot trahissait un esprit doux, elle aimait le sourire à demi mélancolique que lui inspiraient d’insignifiantes vulgarités ; les niaiseries qui le faisaient sourire excitaient toujours quelque répulsion chez elle, ils souriaient ou se contristaient ensemble. Cette supériorité n’empêchait pas Anselme de se précipiter à l’ouvrage, et son infatigable ardeur plaisait à Césarine, car elle devinait que si les autres commis disaient : « Césarine épousera le premier clerc de monsieur Roguin, » Anselme pauvre, boiteux et à cheveux roux, ne désespérait pas d’obtenir sa main. Une grande espérance prouve un grand amour.

— Où va-t-il ? demanda Césarine à son père en essayant de prendre un air indifférent.

— Il s’établit rue des Cinq-Diamants ! et ma foi ! à la grâce de Dieu, dit Birotteau dont l’exclamation ne fut comprise ni par sa femme, ni par sa fille.

Quand Birotteau rencontrait une difficulté morale, il faisait comme les insectes devant un obstacle, il se jetait à gauche ou a droite ; il changea donc de conversation en se promettant de causer de Césarine avec sa femme.

— J’ai raconté tes craintes et tes idées sur Roguin à ton oncle, il s’est mis à rire, dit-il à Constance.

— Tu ne dois jamais révéler ce que nous nous disons entre nous, s’écria Constance. Ce pauvre Roguin est peut-être le plus honnête homme du monde, il a cinquante-huit ans et ne pense plus sans doute…