Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/389

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— Oui, dit naïvement Birotteau, croyez-vous que vous pourriez m’escompter sa signature pour une somme importante ?

— Apportez-moi cinquante mille francs de ses acceptations, je vous les ferai faire à un taux raisonnable chez un certain Gobseck, très-doux quand il a beaucoup de fonds à placer, et il en a.

Birotteau revint chez lui navré, sans s’apercevoir que les banquiers se le renvoyaient comme un volant sur des raquettes ; mais Constance avait déjà deviné que tout crédit était impossible. Si déjà trois banquiers avaient refusé, tous devaient s’être questionnés sur un homme aussi en vue que l’adjoint, et conséquemment la Banque de France n’était plus une ressource.

— Essaye de renouveler, dit Constance, et va chez monsieur Claparon, ton co-associé, enfin chez tous ceux à qui tu as remis les effets du quinze, et propose des renouvellements. Il sera toujours temps de revenir chez les escompteurs avec du papier Popinot.

— Demain le treize ! dit Birotteau tout à fait abattu.

Suivant l’expression de son prospectus, il jouissait de ce tempérament sanguin qui consomme énormément par les émotions ou par la pensée, et qui veut absolument du sommeil pour réparer ses pertes. Césarine l’amena dans le salon et lui joua pour le récréer le Songe de Rousseau, très-joli morceau d’Hérold. Constance travaillait auprès de lui. Le pauvre homme se laissa aller la tête sur une ottomane, et toutes les fois qu’il levait les yeux sur elle, il la voyait un doux sourire sur les lèvres : il s’endormit ainsi.

— Pauvre homme ! dit Constance, à quelles tortures il est réservé, pourvu qu’il y résiste.

— Eh ! qu’as-tu, maman ? dit Césarine en voyant sa mère en pleurs.

— Chère fille, je vois venir une faillite. Si ton père est obligé de déposer son bien, il faudra n’implorer la pitié de personne. Mon enfant, sois préparée à devenir une simple fille de magasin. Si je te vois prendre ton parti courageusement, j’aurai la force de recommencer la vie. Je connais ton père, il ne soustraira pas un denier, j’abandonnerai mes droits, on vendra tout ce que nous possédons. Toi, mon enfant, porte demain tes bijoux et ta garde-robe chez ton oncle Pillerault, car tu n’es obligée à rien.

Césarine fut saisie d’un effroi sans bornes en entendant ces paroles dites avec une simplicité religieuse. Elle forma le projet d’aller trouver Anselme, mais sa délicatesse l’en empêcha.