Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/395

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les affaires. Que voulez-vous être ? cochon, dindon, paillasse ou millionnaire ? Réfléchissez à ceci : je vous ai formulé la théorie des emprunts modernes. Venez me voir, vous trouverez un bon garçon toujours jovial. La jovialité française, grave et légère tout à la fois, ne nuit pas aux affaires, au contraire ! Des hommes qui trinquent sont bien faits pour se comprendre ! Allons ! encore un verre de vin de Champagne ? il est soigné, allez ! Ce vin est envoyé par un homme d’Épernay même, à qui j’en ai bien fait vendre, et à bon prix. (J’étais dans les vins.) Il se montre reconnaissant et se souvient de moi dans ma prospérité. C’est rare.

Birotteau, surpris de la légèreté, de l’insouciance de cet homme à qui tout le monde accordait une profondeur étonnante et de la capacité, n’osait plus le questionner. Dans l’excitation brouillonne où l’avait mis le vin de Champagne, il se souvint cependant d’un nom qu’avait prononcé du Tillet, et demanda quel était et où demeurait monsieur Gobseck, banquier.

— En seriez-vous là, mon cher monsieur ? dit Claparon. Gobseck est banquier comme le bourreau de Paris est médecin. Son premier mot est le cinquante pour cent ; il est de l’école d’Harpagon : il tient à votre disposition des serins des Canaries, des boas empaillés, des fourrures en été, du nankin en hiver. Et quelles valeurs lui présenteriez-vous ? Pour prendre votre papier nu, il faudrait lui déposer votre femme, votre fille, votre parapluie, tout, jusqu’à votre carton à chapeau, vos socques (vous donnez dans le socque articulé), pelles, pincettes et le bois que vous avez dans vos caves : Gobseck, Gobseck ? vertu du malheur ! qui vous a indiqué cette guillotine financière ?

— Monsieur du Tillet.

— Ah ! le drôle, je le reconnais. Nous avons été jadis amis ; et si nous nous sommes brouillés à ne pas nous saluer, croyez que ma répulsion est fondée : il m’a laissé lire au fond de son âme de boue, et il m’a mis mal à mon aise pendant le beau bal que vous nous avez donné : je ne puis pas le sentir avec son air fat. Parce qu’il a une notaresse ! J’aurai des marquises, moi, quand je voudrai, et il n’aura jamais mon estime, lui ! Ah ! mon estime est une princesse qui ne le gênera jamais dans son lit. Vous êtes un farceur, dites donc, gros père, nous flanquer un bal et deux mois après demander des renouvellements ! Vous pouvez aller très-loin. Faisons des affaires ensemble. Vous avez une réputation, elle me servira. Oh !