Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/421

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madame Roguin, qui sans doute faisait des emplettes. Ses yeux et ceux de la belle notaresse se croisèrent. La honte que la femme heureuse ne put réprimer en voyant la femme ruinée donna du courage à Constance.

— Jamais je ne roulerai carrosse avec le bien d’autrui, se dit-elle.

Bien reçue de Joseph Lebas, elle le pria de procurer à sa fille une place dans une maison de commerce respectable. Lebas ne promit rien ; mais huit jours après Césarine eut la table, le logement et mille écus dans la plus riche maison de nouveautés de Paris, qui fondait un nouvel établissement dans le quartier des Italiens. La caisse et la surveillance du magasin étaient confiées à la fille du parfumeur, qui, placée au-dessus de la première demoiselle, remplaçait le maître et la maîtresse de la maison. Quant à madame César, elle alla le jour même chez Popinot lui demander de tenir chez lui la caisse, les écritures et le ménage. Popinot comprit que sa maison était la seule où la femme du parfumeur pourrait trouver les respects qui lui étaient dus et une position sans infériorité. Le noble enfant lui donna trois mille francs par an, la nourriture, son logement qu’il fit arranger, et prit pour lui la mansarde d’un commis. Ainsi la belle parfumeuse, après avoir joui pendant un mois des somptuosités de son appartement, dut habiter l’effroyable chambre, ayant vue sur la cour obscure et humide, où Gaudissart, Anselme et Finot avaient inauguré l’Huile Céphalique.

Quand Molineux, nommé Agent par le tribunal de commerce, vint prendre possession de l’actif de César Birotteau, Constance aidée par Célestin vérifia l’inventaire avec lui. Puis la mère et la fille sortirent, à pied, dans une mise simple, et allèrent chez leur oncle Pillerault sans retourner la tête, après avoir demeuré dans cette maison le tiers de leur vie. Elles cheminèrent en silence vers la rue des Bourdonnais, où elles dînèrent avec César pour la première fois depuis leur séparation. Ce fut un triste dîner. Chacun avait eu le temps de faire ses réflexions, de mesurer l’étendue de ses obligations et de sonder son courage. Tous trois étaient comme des matelots prêts à lutter avec le mauvais temps, sans se dissimuler le danger. Birotteau reprit courage en apprenant avec quelle sollicitude de grands personnages lui avaient arrangé un sort ; mais il pleura quand il sut ce qu’allait devenir sa fille. Puis, il tendit la main à sa femme en voyant le courage avec lequel elle recommençait la vie. L’oncle Pillerault eut pour la dernière fois de sa vie les