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Les discours de Robespierre

point étrangère au cœur des rois ligués contre nous. Le pape ne vaut pas l’honneur d’être nommé.

L’Angleterre a aussi osé menacer le Danemark par ses escadres, pour le forcer à accéder à la ligue ; mais le Danemark, régi par un ministre habile, a repoussé avec dignité ses insolentes sommations.

(bb) On ne peut lier qu’à la folie la résolution qu’avoit prise le roi de Suède, Gustave III, de devenir la généralissime des rois coalisés. L’histoire des sottises humaines n’offre rien de comparable au délire de ce moderne Agamemnon, qui épuisoit ses états, qui abandonnoit sa couronne à la merci de ses ennemis, pour venir à Paris affermir celle du roi de France.

Le régent, plus sage, a mieux consulté les intérêts de son pays & les siens ; il s’est renfermé dans les termes de la neutralité.

De tous les frippons décorés du nom de roi, d’empereur, de ministres, de politiques, on assure & nous ne sommes pas éloignés de le croire, que le plus adroit est Catherine de Russie, ou plutôt ses ministres : car il faut se défier du charlatanisme de ces réputations lointaines & impériales, prestige créé par la politique. La vérité est que sous la vieille impératrice, comme sous toutes les femmes qui tiennent le sceptre, ce sont les hommes qui gouvernent. Au reste, la politique de la Russie est impérieusement déterminée par la nature même des choses. Cette contrée présente l’union de la férocité des hordes sauvages avec les vices des peuples civilisés. Les dominateurs de la Russie ont un grand pouvoir & de grandes richesses : ils ont le goût, l’idée, l’ambition du luxe & des arts de l’Europe, & ils régnent dans un climat de fer ; ils éprouvent le besoin d’être servis & flattés par des Athéniens, & ils ont pour sujets des Tartares : ces contrastes de leur situation ont nécessairement tourné leur ambition vers le commerce, aliment du luxe & des arts, & vers la conquête des contrées fertiles qui avoisinent à l’Ouest & au Midi. La cour de Pétersbourg cherche à émigrer des tristes pays qu’elle habite, dans la Turquie européenne & dans la Pologne, comme nos jésuites & nos aristocrates ont émigré des doux climats de la France dans la Russie.

Elle a beaucoup contribué à former la ligue des rois qui nous font la guerre, & elle en profite seule. Tandis que les puissances rivales de la sienne viennent se briser contre le rocher de la République française, l’impératrice de Russie ménage ses forces & accroît ses moyens ; elle promène ses regards avec une secrète joie, d’un côté sur les vastes contrées soumises à la domination ottomane, de l’autre sur la Pologne & sur l’Allemagne ; par-tout elle envisage des usurpations faciles ou des conquêtes rapides ; elle croit toucher au moment de donner la loi à l’Europe, du moins pourra-t-elle la faire à la Prusse & à l’Autriche ; & dans les partages de peuples où elle admettoit les deux compagnons de ses augustes brigandages, qui l’empêchera de prendre impunément la part du lion ?