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Séance du 8 thermidor An II

s’arrêter avant le terme, c’est périr, et nous avons honteusement rétrogradé. Vous avez ordonné la punition de quelques scélérats auteurs de tous nos maux ; ils osent résister à la justice nationale, et on leur sacrifie les destinées de la patrie et de l’humanité ! Attendons-nous donc à tous les fléaux que peuvent entraîner les factions qui s’agitent impunément. Au milieu de tant de passions ardentes, et dans un si vaste empire, les tyrans dont je vois les armées fugitives, mais non enveloppées, mais non exterminées, se retirent pour vous laisser en proie à vos dissensions intestines qu’ils allument eux-mêmes, et à une armée d’agents criminels que vous ne savez pas même apercevoir. Laissez flotter un moment les rênes de la révolution : vous verrez le despotisme militaire s’en emparer, et le chef des factions renverser la représentation nationale avilie ; un siècle de guerres civiles et de calamités désolera notre patrie, et nous périrons pour n’avoir pas voulu saisir un moment marqué dans l’histoire des hommes pour fonder la liberté ; nous livrons notre patrie à un siècle de calamités[1], et les malédictions du peuple s’attacheront à notre mémoire, qui devait être chère au genre humain ! Nous n’aurons pas même le mérite d’avoir entrepris de grandes choses par des motifs vertueux ; on nous confondra avec les indignes mandataires du peuple qui ont déshonoré la représentation nationale, et nous partagerons leurs forfaits en les laissant impunis. L’immortalité s’ouvrait devant nous, nous périrons avec ignominie. Les bons citoyens périront ; les méchants périront aussi ; le peuple outragé et victorieux les laissera-t-il en paix jouir de leurs crimes ? Les tyrans eux-mêmes ne briseraient-ils pas ces vils instruments ? Quelle justice avons-nous faite envers les oppresseurs du peuple ? Quels sont les patriotes opprimés par les plus odieux abus de l’autorité nationale qui ont été vengés ? Que dis-je ! quels sont ceux qui ont pu faire entendre impunément la voix de l’innocence opprimée ? Les coupables n’ont-ils pas établi cet affreux principe que dénoncer un représentant infidèle, c’est conspirer contre la représentation nationale ? L’oppresseur répond aux opprimés par l’incarcération et de nouveaux outrages. Cependant les départements où ces crimes ont été commis les ignorent-ils parce que nous les oublions ? et les plaintes que nous repoussons ne retentissent-elles pas avec plus de force dans les cœurs comprimés des citoyens malheureux ? Il est si facile et si doux d’être juste ! Pourquoi nous dévouer à l’opprobre des coupables en les tolérant ? Mais quoi ! les abus tolérés n’iront-ils pas en croissant ? Les coupables impunis ne voleront-ils pas de crimes en crimes ? Voulons-nous partager tant d’infamie, et nous vouer au sort affreux des oppresseurs du peuple ? Quels titres ont-ils pour en imposer même aux plus vils tyrans ? Une faction pardonnerîiit à une autre faction ; bientôt les scélérats vengeraient (1)

  1. Lignes raturées : « Et notre mémoire, qui devait être chère au monde, sera l’objet des malédictions du genre humain. » (Note orig.)