Page:Œuvres complètes de Maximilien de Robespierre, tome 10.djvu/581

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
577
Séance du 8 thermidor An II


Journal des Hommes libres, n° 219 (9 thermidor), p. 878-79.

Robespierre obtient la parole : La calomnie, dit-il, semble s’être attachée à mes pas, pour ne me quitter qu’après m’avoir percé de ses traits les plus envenimés. Est-il vrai qu’on a répandu le bruit que des listes de proscription étaient dressées ? est-il vrai que des terreurs ont été jettées dans l’âme des représentans du peuple, au point que plusieurs d’entr-eux ne restent point chez eux la nuit ? est-il vrai que l’on m’accuse de vouloir marcher à la dictature sur les ruines sanglantes de la représentation nationale ? Oui, ces bruits se répètent partout ; étrange projet d’un seul homme d’engager la Convention à s’égorger elle-même de ses propres mains, pour lui frayer le chemin de la tyrannie !

Mais remarquez l’identité qui règne dans la conduite de mes calomniateurs et de mes ennemis ! Pour vous isoler de la nation, les tyrans ne vous ont-ils pas aussi prodigué les noms de dictateurs ? N’ont-ils pas appellé les armées françaises, les hordes conventionnelles, et la Révolution, le Jacobinisme ? Quel peut donc être leur but, lorsqu’ils isolent aujourd’hui sur ma tête ces accusations, qui nous étoient naguères communes, si ce n’est de vous diviser et de vous perdre ?

Cependant ce mot de dictateur a des effets magiques : il avilit le gouvernement révolutionnaire, il détruit la République, et rend odieuse la justice nationale, qu’il peint comme un instrument utile à un seul homme qui le dirige à son gré. Quel terrible usage nos ennemis ont fait d’un mot qui ne désignoit à Rome qu’une fonction publique ! Mais qu’il me soit permis de renvoyer au duc d’Yorck les patentes de cette dignité, que ses amis m’ont donnée.

Les lâches ! ils m’appellent tyran ; et si je l’étois, ils ramperoient à mes pieds ; si je l’étois, croyez que les tyrans ne me poursuivroient pas avec autant d’acharnement, croyez au contraire qu’ils me prodigueroient leurs secours. On arrive à la tyrannie avec l’appui des fripons ; mais où tend celui qui les combat ? la vérité sans doute, a son despotisme, mais il n’est pas plus donné au mensonge de l’imiter, qu’à Salmonée d’imiter la foudre.

Il y a deux puissances sur la terre, la raison et la tyrannie : ceux qui dénoncent la force morale de la raison rappellent donc la tyrannie. Le système des Hébert et des Fabre d’Eglantine est plus que jamais suivi ; le patriotisme et la probité sont persécutés ; on veut détruire le gouvernement, et l’on marche à ce but par deux routes différentes. Ici, on le calomnie, là on cherche à le rendre odieux par des excès. Des mains perfides s’en servent comme d’un instrument de contrerévolution. Les agens de nos plus cruels ennemis pénètrent jusques dans le Comité de sûreté générale ; et n’est-il pas étrange que nous soyons obligés de les payer pour faire la police en France ? Sans doute, ils se couvrent du manteau du patriotisme, ils font livrer au glaive des lois, des conspirateurs, mais ce ne sont que ceux qui, par leur évidence, ne pourroient y échapper, et que l’étranger lui-même