Page:Œuvres complètes de Platon (Chambry), tome 1.djvu/31

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amené et décrit le lieu de la scène, et il le fait avec un naturel si parfait, avec des touches si justes qu’on croit voir les personnes et les lieux, qu’on en est charmé et qu’on se sent engagé d’avance à écouter les personnages pour lesquels l’auteur a si vivement éveillé notre sympathie ou notre curiosité. Quoi de plus gracieux et de plus délicat que le début du Lachès, du Charmide et du Lysis ? Quoi de plus animé, de plus pittoresque, de plus convenable au sujet que les scènes et les descriptions par lesquelles s’ouvrent le Protagoras, le Phèdre, le Banquet, la République ?

Vient ensuite la discussion du sujet. Elle est distribuée en plusieurs actes, séparés par des intermèdes, ou marquée comme dans le Lachès, le Charmide, le Gorgias, par des changements d’interlocuteurs. Et ces intermèdes, outre le charme qu’ils ont en eux-mêmes, offrent encore l’avantage de reposer l’esprit d’un débat généralement aride, et de rafraîchir l’attention. Les citations de poètes, en particulier d’Homère, les discours des adversaires de Socrate, notamment des sophistes, toujours avides d’étaler leur éloquence, les discours de Socrate lui-même, les mythes où son imagination se donne carrière contribuent aussi à égayer la discussion. Elle est souvent lente et sinueuse, et ce n’est pas sans raison que ses longueurs impatientaient Montaigne. Nous l’aimerions, nous aussi, plus ramassée et plus courte ; mais c’est notre goût, ce n’était pas celui des Grecs. D’ailleurs un dialogue ne suit pas la marche d’une exposition suivie. On y effleure en passant d’autres questions qui se rapportent plus ou moins étroitement au sujet principal, et Cousin a pu dire que chacun des grands dialogues de Platon contenait toute une philosophie. Aussi est-il parfois assez difficile de déterminer nettement l’objet de certains dialogues, dont l’unité n’a pas la rigueur qui nous paraît nécessaire à nous modernes. D’autres, et ils sont assez nombreux, restent sans conclusion. Ce n’est pas que la recherche qui en fait le sujet conduise au scepticisme ; c’est que Platon a simplement voulu réfuter des opinions courantes