Page:Œuvres complètes de Platon (Chambry), tome 1.djvu/378

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qu’on sait ce qu’on ne sait pas, ce qui, à mon avis, est la chose la plus absurde du monde. Mais, en dépit de notre complaisance et de notre facilité, l’enquête n’est pas arrivée davantage à trouver la vérité ; au contraire, elle s’est si bien moquée de la vérité que, quoi que nous ayons admis ensemble et imaginé pour définir la sagesse, elle nous en a fait voir l’inutilité avec une ostentation insultante. Pour ce qui est de moi, je n’en suis pas trop dépité ; mais je le suis extrêmement pour toi, Charmide, en voyant qu’avec une telle figure et un esprit si sage, tu ne tireras aucun fruit de cette sagesse et que tu ne gagneras rien dans la vie à la posséder. Mais ce qui me donne encore plus de dépit, c’est l’incantation que j’ai apprise du Thrace, à la pensée que j’ai mis tant d’application à retenir une chose qui n’a aucune valeur. Mais non, je ne puis croire qu’il en soit ainsi ; c’est moi qui suis un piètre chercheur ; car la sagesse est un grand bien, et, si tu la possèdes, [176a] tu es un homme heureux. Vois donc si tu la possèdes et si tu n’as aucun besoin de l’incantation. En ce cas, je te conseille plutôt de me considérer comme un radoteur, incapable de rien trouver par le raisonnement, et pour toi, de t’estimer d’autant plus heureux que tu es plus sage. »

XXIV. — Charmide me répondit alors : « Par Zeus, Socrate, je ne sais pas, moi, si je possède la sagesse ou si je ne la possède pas. Car comment le saurais-je, quand vous-mêmes n’êtes pas capables, dis-tu, de découvrir ce qu’elle est. [176b] Mais moi, je ne te crois guère et je suis convaincu, Socrate, que j’ai besoin de l’incantation ; aussi ne tiendra-t-il pas à moi que je ne m’y soumette tous les jours, jusqu’à ce que tu dises que c’est assez.

— Bien, s’écria Critias ; fais-le, Charmide. Ce sera pour moi la preuve que tu es sage, si tu te livres aux incantations de Socrate et ne le quittes pas d’un pas.

— Tu peux compter que je le suivrai et ne le quitterai pas. Ce serait bien mal à moi [176c] de ne pas t’obéir à toi, qui es mon tuteur, et de ne pas faire ce que tu m’ordonnes.

— Oui, certes, dit-il, je te l’ordonne.