Page:Œuvres complètes de Platon (Chambry), tome 1.djvu/413

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— Assurément.

— Ce quelque chose à son tour sera aimé en vue d’un autre objet aimé ?

— Oui.

— Alors n’arrivera-t-il pas fatalement ou que nous nous lasserons de poursuivre cette voie, ou que nous arriverons à un principe qui ne nous enverra plus à un autre objet aimé, je veux dire à cet objet qui est le premier objet d’amour, en vue duquel nous disons que tous les autres sont aimés.

— Il le faut.

— Je dis donc qu’il faut prendre garde que tous les autres objets, qui, comme nous l’avons dit, sont aimés en vue de celui-là, étant des sortes d’images de ce premier objet, ne nous fassent illusion, et que c’est ce premier objet qui est le véritable ami. Représentons-nous la chose comme il suit. Quand on tient beaucoup à quelque chose, quand, par exemple, un père préfère un fils à tout au monde, n’arrive-t-il pas, parce qu’il met son fils au-dessus de tout, qu’il fasse cas d’autre chose aussi ? Supposons qu’il apprenne que son fils a bu de la ciguë : est-ce qu’il ne fera pas cas du vin, s’il juge que le vin sauvera son fils ?

— Sans doute, répondit-il.

— Ne fera-t-il pas cas aussi du vase où est le vin ?

— Si fait.

— Et alors ne fait-il aucune différence entre la coupe d’argile et son fils, entre trois cotyles de vin et son fils ? N’est-il pas juste de dire au contraire que tout zèle dépensé en pareil cas ne va point aux objets qu’on cherche à se procurer en vue d’autre chose, mais à celui en vue duquel on se procure tous les autres ? Bien que nous disions souvent que nous faisons cas de l’or et de l’argent, nous n’en disons pas moins une chose fausse ; en réalité, ce que nous plaçons au-dessus de tout dans notre estime, c’est ce qui nous apparaît comme la fin en vue de laquelle nous recherchons l’or et tous les biens que nous poursuivons. N’est-ce pas ainsi qu’il faut parler ?