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LES INFORTUNES DE LA VERTU.

rents objets sur lesquels je la prévins que je l’interrogerais ; je lui recommandai expressément de cacher le lieu dont elle venait, de ne parler de moi en quoi que ce soit, de dire qu’elle tenait la lettre d’un homme qui l’apportait de plus de quinze lieues de là. Jeannette partit, c’était le nom de ma courrière, et vingt-quatre heures après elle me rapporta ma réponse. Il est essentiel, madame, de vous instruire de ce qui s’était passé chez le marquis de Bressac, avant que de vous faire voir le billet que j’en reçus.

La comtesse de Bressac, tombée grièvement malade le jour de ma sortie du château, était morte subitement la même nuit. Qui que ce soit n’était venu de Paris au château, et le marquis dans la plus grande désolation (le fourbe !) prétendait que sa mère avait été empoisonnée par une femme de chambre qui s’était évadée le même jour et que l’on nommait Sophie ; on faisait des recherches de cette femme de chambre, et l’intention était de la faire périr sur un échafaud si on la trouvait. Au reste le marquis se trouvait par cette succession beaucoup plus riche qu’il ne l’avait cru, et les coffres-forts, les pierreries de Mme de Bressac, tous objets dont on avait peu de connaissance, mettaient le marquis, indépendamment des revenus, en possession de plus de six cent mille francs ou d’effets ou d’argent comptant. Au travers de sa douleur affectée, il avait, disait-on, bien de la peine à cacher sa joie, et les parents convoqués pour l’ouverture du corps exigée par le marquis, après avoir déploré le sort de la malheureuse comtesse, et juré de la venger si celle qui avait commis un tel crime pouvait tomber entre leurs mains, avaient laissé le jeune homme en pleine et paisible possession du fruit de sa scélératesse. M. de Bressac avait parlé lui-même à Jeannette, il lui avait fait différentes questions auxquelles la jeune fille avait répondu avec tant de fermeté et de franchise qu’il s’était déterminé à lui faire une réponse, sans la presser davantage.

— La voilà, cette fatale lettre, dit Sophie en la sortant de sa poche, la voilà, madame, elle est quelquefois nécessaire à mon cœur et je la conserverai jusqu’à mon dernier soupir ; lisez-la si vous le pouvez sans frémir.

Mme Lorsange, ayant pris le billet des mains de notre belle aventurière, y lut les mots suivants.