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LES INFORTUNES DE LA VERTU.

nous prendre pour le souper ; Raphaël ne parut qu’environ une heure après que nous fûmes descendues, il avait l’air très agité, il parla souvent bas aux autres et néanmoins tout se passa comme à l’ordinaire. Cependant je remarquai comme m’en avait prévenue Omphale, que l’on nous fit remonter beaucoup plus tôt dans nos chambres et que les moines qui burent infiniment plus qu’ils n’avaient coutume, s’en tinrent à exciter leurs désirs sans jamais se permettre de les consommer. Quelles inductions tirer de ces remarques ? je les fis parce qu’on prend garde à tout dans pareilles occasions, mais pour les conséquences je n’eus pas l’esprit de les voir, et peut-être ne vous rendrais-je pas ces particularités sans l’effet étonnant qu’elles me firent.

Nous fûmes quatre jours à attendre des nouvelles d’Omphale, tantôt persuadées qu’elle ne manquerait pas au serment qu’elle avait fait, convaincues l’instant d’après que les cruels moyens qu’on prendrait vis-à-vis d’elle lui ôteraient toute possibilité de nous être utile ; nous désespérâmes enfin et notre inquiétude n’en devint que plus vive. Le quatrième jour du départ d’Omphale, on nous fit descendre au souper ainsi que cela devait être, mais quelle fut notre surprise à toutes trois de voir une nouvelle compagne entrant par une porte du dehors au même instant où nous paraissions par la nôtre.

— Voilà celle que la société destine à remplacer la dernière partie, mesdemoiselles, nous dit Raphaël ; ayez la bonté de vivre avec elle comme avec une sœur, et de lui adoucir son sort en tout ce qui dépendra de vous. Sophie, me dit alors le supérieur, vous êtes la plus âgée de la classe, et je vous élève au poste de doyenne ; vous en connaissez les devoirs, ayez soin de les remplir avec exactitude.

J’aurais bien voulu refuser, mais ne le pouvant pas, perpétuellement obligée de sacrifier mes désirs, et mes volontés à celles de ces vilains hommes, je m’inclinai et lui promis de tout faire pour qu’il fût content.

Alors on enleva du buste de notre nouvelle compagne les