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LES INFORTUNES DE LA VERTU.

cœur. Deux affreux partis s’offrirent à moi ; je voulus, ou m’aller joindre aux fripons qui venaient de me léser aussi cruellement, ou retourner dans Lyon m’abandonner au libertinage… Dieu me fit la grâce de ne pas succomber et quoique l’espoir qu’il alluma de nouveau dans mon âme ne fût que l’aurore d’adversités plus terribles encore, je le remercie cependant de m’avoir soutenue. La chaîne des malheurs qui me conduit aujourd’hui quoique innocente à l’échafaud, ne me vaudra jamais que la mort ; d’autres partis m’eussent valu la honte, les remords, l’infamie, et l’un est bien moins cruel pour moi que le reste.

Je continuai ma route, décidée à vendre à Vienne le peu d’effets que j’avais sur moi pour gagner Grenoble. Je cheminais tristement, lorsqu’à un quart de lieue de cette ville, j’aperçus dans la plaine à droite du chemin, deux hommes à cheval qui en foulaient un troisième aux pieds de leurs chevaux, et qui après l’avoir laissé comme mort se sauvèrent à toutes brides. Ce spectacle affreux m’attendrit jusqu’aux larmes… Hélas, me dis-je, voilà un infortuné plus à plaindre encore que moi ; il me reste au moins la santé et la force, je puis gagner ma vie, et s’il n’est pas riche, qu’il soit dans le même cas que moi, le voilà estropié pour le reste de ses jours. Que va-t-il devenir ? À quelque point que j’eusse dû me défendre de ces sentiments de commisération, quelque cruellement que je vinsse d’en être punie, je ne pus résister à m’y livrer encore. Je m’approche de ce moribond ; j’avais un peu d’eau spiritueuse sur moi, je lui en fais respirer ; il ouvre les yeux à la lumière, ses premiers mouvements sont ceux de la reconnaissance, ils m’engagent à continuer mes soins ; je déchire une de mes chemises pour le panser, un de ces seuls effets qui me restent pour prolonger ma vie, je le mets en morceaux pour cet homme, j’étanche le sang qui coule de quelques-unes de ses plaies, je lui donne à boire un peu de vin dont je portais une légère provision dans un flacon pour ranimer ma marche dans mes instants de lassitude, j’emploie le reste à bassiner ses contusions. Enfin ce malheureux reprend tout à coup ses forces et son courage ; quoique à pied et dans un équipage assez leste, il ne paraissait pourtant point dans la médiocrité, il avait quelques effets de prix, des bagues, une montre, et autres bijoux, mais