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ROYAUTÉ

Mais il était fier comme un Dieu de souffrir ce que nul n’avait souffert, et il marchait dans la gloire de son deuil, morne et splendide comme un soleil noir.

Tandis qu’il allait ainsi, faisant partout où il passait la nuit et l’hiver, il arriva dans une grande plaine bordée d’arbres rigides. Là douze vieillards étaient assis en cercle, immobiles sur leurs sièges de pierre et muets comme les statues qui gardent les tombeaux. Le Roi s’avança vers eux et leur cria d’une voix hautaine : « Regardez-moi, vieillards ! afin que vous voyiez avant de mourir Celui qui a connu une douleur nouvelle. »

Mais les vieillards se levèrent tous ensemble en poussant de grands cris et l’un d’eux répondit au Roi : « Homme ! ne te vante pas devant nous de sentir ce que nul n’a senti. Car nous sommes les Mois de l’Année et le Maître nous a établis pour châtier ceux qui ont dédaigné le bonheur des foules. Puisque tu as péché par orgueil, tu ne seras point affranchi de la Vie. Mais, torturé par l’ineffable honte d’ignorer l’inconnu, tu demeureras jusqu’à la fin des âges notre prisonnier, le prisonnier des Mois de l’Année. »