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PRÉFACE

les fit tomber soit leur aversion pour les anciens sophistes, soit l’incertitude ou flottait leur esprit, soit encore une certaine surabondance d’idées et de sciences mal digérées, ils l’appuyaient sans doute par des raisons qu’il serait injuste de mépriser, mais ils n’ont pas su la déduire des vrais principes. Entraînés par la passion et l'envie de briller, ils dépassèrent le but. Les philosophes des premiers temps de la Grèce, dont les ouvrages sont perdus, furent les seuls qui surent garder un sage milieu entre la jactance affirmative des premiers, et la désespérante acatalepsie[1] des derniers. Tout en se plaignant sans cesse de la difficulté des recherches, de l'obscurité des choses, tout en donnant de fréquents signes d’impatience, et en rongeant pour ainsi dire leur frein, ils n’ont pas laissé de s’occuper vivement de leur dessein et de s’attacher à l'étude de la nature avec une sorte d’opiniâtreté, pensant avec raison que, pour terminer cette question même, et savoir enfin si l’on peut en effet savoir quelque chose, il fallait, au lieu de disputer sur ce point, le décider par l'expérience. Encore ceux-là même s’abandonnaient trop à l’impétuosité naturelle de leur entendement, sans aucune règle fixe qui le dirigeât ou le contînt, s’imaginant que, pour pénétrer dans les secrets de la nature, il suffisait de méditer avec obstination, de tourner pour ainsi dire son esprit dans tous les sens, et de le maintenir dans une agitation perpétuelle.

Quant à notre méthode, autant elle est difficile à suivre, autant elle est facile à exposer. Il s’agit, en effet, d’établir des degrés de certitude, de donner de l’appui aux sens par une réduction des objets, mais en rejetant presque tout le produit des premières opérations de l’esprit qui suivent immédiatement les sensations, la route nouvelle et sûre que notre dessein est de tracer à l’entendement humain devant commencer aux perceptions des sens. Et c’était sans doute ce qu’avaient aussi en vue ces anciens philosophes, qui faisaient jouer un si grand rôle à la dialectique. Par le soin même avec lequel ils traitaient cette science, il paraît qu’ils y cherchaient des secours pour l’entendement, tenant pour suspects sa marche native et son mouvement spontané. Mais ce remède, ils l’appliquaient trop tard, déjà l’esprit était dépravé par une infinité de mauvaises habitudes, tout rempli de simples ouï-dire, tout infecté de doctrines mensongères, et obsédé par mille fantômes[2] déjà tout était perdu. Ainsi les régles de la dialectique, appliquées tardivement, et ne

  1. Voyez, sur le dogme de l’acatalepsie ou de l’incompréhensibilité de toutes choses, soutenu par les disciples d'Arcesilas, Ciceron Quest. acad.. II e 6. ED.
  2. Ce mot de fantômes idola désigne chez Bacon les préjuges dont l'esprit humain est rempli. Voy. aph 38 et suiv. du Noutel Organum ED