Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/283

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doctrine une infinité d’opinions fantastiques, enfin les temps de barbarie, surtout si les peuples sont alors affligés de désastres et de calamités. La superstition, lorsqu’elle se montre sans voile, est un objet difforme et ridicule, car, de même que la ressemblance du singe avec l’homme augmente la laideur naturelle de cet animal, de même la fausse ressemblance de la superstition avec la religion ne rend la première que plus hideuse, et de même que les viandes les plus saines, lorsqu’elles se corrompent, se changent en vers, la superstition convertit la sage discipline et les coutumes les plus respectables en momeries et en observances puériles. Quelquefois aussi, à force de vouloir éviter la superstition ordinaire, on tombe, sans s’en apercevoir, dans un autre genre de superstition, et c’est ce qui arrive lorsqu’on se flatte de ne pouvoir s’égarer en s’éloignant le plus qu’il est possible de la superstition établie depuis longtemps. Ainsi, en voulant épurer la religion, il faut éviter avec soin l’inconvénient où l’on tombe par la superpurgation, je veux dire celui d’emporter le bon avec le mauvais, ce qui ne manque guère d’arriver quand le peuple est le réformateur.

XVIII — Des voyages

Les voyages en pays étrangers font durant la première jeunesse une partie de 1 éducation, et dans l’âge mùr une partie de l’expérience, mais on peut dire d’un homme qui entreprend un voj âge, avant d’avoir fait quelques progrès dans la langue du pays ou il veut aller, qu’il va à l’école et non qu’il va voyager. Je voudrais d’abord qu’un jeune homme ne voyageât que sous la direction d’un gouverneur ou d’un domestique sage et de bonnes mœurs, qui eût voyage lui-même dans le pays ou il se propose d’aller, qui en sût la langue et qui fut en état de lui indiquer d’avance quels sont dans ce même pays les objets qui mentent le plus de fixer l’attention d’un observateur, quelles liaisons plus ou moins étroites il doit y contracter, quels exercices, quelles sciences ou quel » arts y sont porteg a un certain degre de perfection, car autrement un jeune liomme voyagera pour ainsi dire les yeux bandés, et, quoique hors de chez lui, de ses foyers, il ne verra rien

N’est-il pas surprenant que dans les voyages de mer, ou l’on ne voit que le ciel et l’eau, on ait soin de tenir des journaux, et que dans les voyages de terre, ou a chaque pas s’offrent tant d’objets dignes d’attention, on prenne si rarement cette peine ? comme si les objets ou les événements qui se présentent fortuitement méritaient moins d’être consignés sur des tablettes ou dans