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NOUVEL ORGANUM.

donner, elle ne produit, à force de disputes et de débats, que des épines et des chardons.

LXXIV. Il faut aussi tirer quelques indications de l’accroissement et du progrès des sciences et des philosophies, car celles qui ont leur fondement dans la nature même croissent et se perfectionnent, quant à celles qui n’ont d’autre base que l’opinion, elles varient tout au plus, mais elles ne croissent point. Que si ces doctrines dont nous parlons, et qui, dans leur état actuel, sont comme autant de plantes séparées de leurs racines, eussent été enracinées dans la nature même, et de manière à pouvoir en tirer toute leur substance, les eût-on vues (comme cela n’est que trop arrivé) demeurer l’espace de deux mille ans presque dans le même état, et ne prendre aucun accroissement sensible, ou plutôt fleurir dans leurs premiers inventeurs, et ne faire ensuite que décliner ? Nous voyons pourtant que dans les arts mécaniques, qui ont pour base la nature même et sont éclairés par la lumière de l’expérience, les choses prennent un cours tout opposé car ces derniers arts (tant qu’ils sont en vogue) sont comme pénétrés d’un esprit vivifiant qui les fait végéter et croître sans interruption, d’abord grossiers, puis plus commodes, ils se perfectionnent ensuite et vont toujours en croissant.

LXXV. Il est encore un autre signe à considérer, si toutefois il faut donner ce nom de signe à ce qu’on devrait plutôt regarder comme un témoignage, et comme le plus valide de tous les témoignages, je veux parler de l’aveu formel des auteurs et des maîtres qui sont aujourd’hui le plus suivis, car ceux-là même, qui prononcent sur toutes choses avec tant de confiance, ne laissent pas, de temps à autre et lorsqu’ils sont plus capables d’examen, de changer de langage et de se répandre aussi en plaintes sur la subtilité des opérations de la nature, sur l’obscurité des choses et la faiblesse de l’esprit humain. S’ils s’en tenaient à cet aveu, ils pourraient peut-être décourager les esprits les plus timides. Quant à ceux qui ont plus d’élan et de confiance en leurs propres forces, ces plaintes ne feraient qu’éveiller encore plus leur émulation et les exciter à redoubler d’efforts pour avancer plus rapidement dans la carrière des découvertes. Mais ce n’est pas assez pour eux que d’avouer leur propre ignorance ; il faut encore que tout ce qu’eux ou leurs maîtres n’ont pu découvrir ou exécuter, ils le relèguent hors des limites du possible, et, comme s’ils raisonnaient d’après les principes de l’art, qu’ils le déclarent formellement impossible dans la théorie ou la pratique, tournant ainsi, par un orgueil et une envie démesurés, le sentiment qu’ils ont du néant de leurs inventions