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PRÉFACE.

Aussi[1], d’après tout ce qui précede, nous établirons deux points sur lesquels nous voulons attirer l’attention complète des hommes, de peur qu’ils n'y songent pas eux-mêmes. Le premier, c’est qu’un destin heureux, du moins nous l’estimons tel, fasse en sorte que, pour éteindre les contradictions et apaiser l’orgueil des esprits, nous conservions intact aux anciens l’honneur et le respect qui leur est dû, et que cependant nous puissions accomplir notre dessein, et recueillir le fruit de notre modeste ambition. Car, si nous proclamons que notre méthode pour résoudre les problèmes qui ont occupé les anciens est préférable a la leur, nous ne pouvons empêcher, quelle que soit l’habileté de nos expressions, que cela ne donne lieu a des comparaisons et a des disputes au sujet de leur génie et de leur supériorité, non que ce soient la choses illicites ou nouvelles (pourquoi, en effet, n’aurions-nous pas le droit comme tout le monde de critiquer et d’indiquer les erreurs qu’ils auraient établies ou accréditées ?), mais seulement dans de certaines limites encore nos faibles forces ne nous permettraient-elles guère de soutenir cette discussion. Mais, comme notre but est d’ouvrir a l’entendement une route entièrement nouvelle, que les anciens n’ont ni explorée ni même connue, cela donne une face toute différente a nos prétentions, il n’y a plus lieu a s’enflammer, nous ne prétendons qu’au rôle de guide, ce qui assurément n’est pas viser a une grande autorité, et ce qui suppose plus de bonheur que de talent et de supériorité. Voilà pour ce qui concerne le rôle que nous avons a jouer personnellement, voici pour les choses elles-mêmes.

Notre dessein n’est nullement de déposséder la philosophie aujourd’hui en honneur, ou toute autre actuellement existante ou à exister qui pourrait être ou plus exacte ou plus complète, nous n’empêchons pas que les philosophies reçues ne servent à fournir un sujet aux disputes, un texte aux entretiens, ou des méthodes abréviatives et des facilités de toute espèce dans les affaires et dans les différentes professions. Nous devons même déclarer que la philosophie que nous proposons ne serait pas d’un grand service dans le commerce ordinaire de la vie. Ce n’est pas un objet qui soit comme sous la main et que tous puissent saisir aisément. Elle ne flatte point l’esprit humain en se mariant aux préjugés dont il est rempli, elle ne s’abaissera point a la portée des esprits ordinaires, et ils ne la pourront saisir que par ses effets et son utilité.

Ainsi, pour montrer une égale faveur a ces deux espèces de philosophies, et ménager les intérêts de l’une et de l’autre, distinguons deux sources différentes de philosophie et deux départements des

  1. Ce paragraphe n’a pas été traduit par Lassalle E.D.