Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/42

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pour ainsi dire, dans les différentes sciences, qu’à s’attacher constamment à la recherche de la vérité en suivant une méthode sévère et rigoureuse. Si enfin vous en trouvez par hasard un seul qui soit capable de cette tenue et de celle sévérité, eh bien ! Cet homme-là même cherchera tout au plus de ces vérités qui peuvent contenter l’esprit par l’indication des causes et l’explication d’effets déjà connus, non de ces vérités qui enfantent des effets nouveaux et qui entourent les axiomes d’une lumière nouvelle. Ainsi, la borne des sciences étant mal posée, il n’est pas surprenant que, dans les études subordonnées à cette fin, il soit résulté une si grande aberration.

LXXXII. Que la fin des sciences soit mal déterminée et la borne mal posée, c’est ce dont on ne peut douter ; mais, fût-elle mieux posée, la route qu’on a choisie pour aller au but n’en serait pas moins absolument fausse et tout à fait inaccessible. Est-il rien de plus étrange, pour tout homme capable de juger sainement des choses, que de voir qu’aucun mortel jusqu’ici n’ait pris soin, n’ait eu à cœur de tracer pour l’entendement une route qui partit des sens et de l’expérience, et qu’on ait abandonné le tout aux obscurités des traditions, ou encore aux alternatives et au tournoiement de la dispute et de l’argumentation, ou encore aux fluctuations et aux détours sans fin d’une expérience fortuite, vague et confuse ? Que tout homme de sens, arrêtant son attention sur ce sujet, se demande quelle est la marche que suivent la plupart des hommes lorsqu’ils entreprennent quelque recherche et veulent jouer le rôle d’inventeurs ; la première chose qui va se présenter à son esprit, c’est cette marche grossière, destituée de toute méthode, qui leur est si familière. Or voici comment s’y prend tout homme qui a la prétention de faire des découvertes : il va d’abord feuilletant toutes sortes de livres, et compilant tout ce qui a été écrit sur le sujet qui l’occupe ; puis il ajoute à tout cela le produit de ses propres méditations ; enfin il met sa cervelle à la torture, sollicite avec chaleur son propre esprit, et invoque, pour ainsi dire, son génie, afin qu’il rende des oracles ; mais rien de moins solide et de plus hasardé que ces prétendues inventions qui n’ont pour base que de pures opinions.

Tel autre appelle à son secours la dialectique, qui, au nom près, n’a rien de commun avec ce que nous avons en vue ; car les préceptes d’invention qu’elle donne n’ont nullement pour objet l’invention des principes et des axiomes principaux, qui sont comme la substance des arts, mais seulement l’invention de ces autres principes qui paraissent conformes à ces premiers. Aussi, quand elle a affaire à ces hommes d’une curiosité importune qui la serrent de