Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/421

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l’instant même où elles se font entendre, l’impression la plus profonde, et se perpétuent encore dans leur âme par un long souvenir.

XVII. — Dédale, ou le mécanicien.

Les anciens ont voulu représenter sous le personnage de Dédale (homme à la vérité très-ingénieux et très-inventif, mais dont la mémoire doit être en exécration) la science, l’intelligence et l’industrie des mécaniciens (des artistes ou des artisans), mais appliquée à de criminels usages ; en un mot, l’abus qu’on en peut faire, et même qu’on n’en fait que trop souvent. Ce Dédale, après avoir tué son condisciple et son émule, ayant été obligé de s’expatrier, ne laissa pas de trouver grâce devant les rois des autres contrées et d’être traité honorablement dans les villes qui lui donnèrent un asile. Il inventa et exécuta une infinité d’ouvrages mémorables, soit en l’honneur des dieux , soit pour la décoration des villes et des lieux publics ; mais cette grande réputation qu’il avait acquise, il la devait beaucoup moins à ces ouvrages estimables qu’au criminel emploi qu’il avait fait de ses talents ; car ce fut sa détestable industrie qui mit Pasiphaé à portée d’avoir un commerce charnel avec un taureau ; et ce fut à son pernicieux génie que le Minotaure, qui dévora tant d’enfants de condition libre, dut son infâme et funeste origine. Puis ce mécanicien, ne réparant un mal que par un mal plus grand, et entassant crime sur crime, imagina et exécuta le fameux labyrinthe pour la sûreté de ce monstre. Dans la suite. Dédale n’ayant pas voulu devoir uniquement sa réputation à des inventions et à des ouvrages nuisibles (en un mot, ayant voulu fournir lui-même des remèdes au mal qu’il avait fait, comme il avait précédemment fourni des instruments au crime), ce fut encore à lui qu’on dut l’ingénieuse idée de ce fil à l’aide duquel on pouvait suivre tous les détours du labyrinthe et le parcourir en entier sans s’y perdre. La justice de Minos s’attacha longtemps à poursuivre ce Dédale avec autant de diligence que de sévérité, mais toutes ses perquisitions furent inutiles ; le mécanicien trouva toujours des asiles, et échappa à toutes les poursuites de ce juge inexorable. Enfin, lorsque Dédale voulut apprendre à son fils l'art de traverser les airs en volant, celui-ci, quoique novice dans cet art, ayant voulu faire parade de son habileté, s’éleva trop haut et fut précipité dans la mer.

Voici quel paraît être le sens de cette parabole. Elle commence par une observation très judicieuse sur cette honteuse passion qu’on voit si souvent régner entre les artistes distingués par leurs talents, et qui les domine à un point étonnant ; car il n’est point