Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/49

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cette nature, faisant de ces promesses un étalage et un trafic. Mais ce serait peu risquer de se tromper, et apprécier assez bien ces grands prometteurs, que de dire qu’il y a aussi loin de leur charlatanisme à la véritable science que des exploits d’Alexandre ou de Jules-César à ceux d’amaris de Gaule ou d’Arthur de Bretagne : car nous voyons, dans l’histoire, de grands capitaines dont les exploits réels surpassent infiniment ceux qu’on attribue faussement à ces héros obscurs de romans ; toutes choses qu’ils ont exécutées par des moyens qui n’étaient nullement fabuleux ni miraculeux. Cependant, quoique la vérité de l’histoire soit souvent altérée par des fables, ce n’est pas une raison pour lui refuser la croyance qu’elle mérite lorsqu’elle ne dit que la vérité. Mais, en attendant, on ne doit plus être étonné que tous les imposteurs qui ont tenté des opérations de la nature de celles que nous venons de dénombrer aient fait naître un violent préjugé contre toutes les nouveautés de ce genre, et que le dégoût général qu’ont inspiré leur charlatanisme et leur excessive vanité intimide encore aujourd’hui tout mortel courageux qui serait tenté d’entreprendre quelque chose de semblable.

LXXXVIII. Mais ce qui a porté encore plus de préjudice aux sciences, c’est la pusillanimité de ceux qui les cultivent et l’étroite mesure ou le peu d’utilité de la tâche qu’ils s’imposent à eux-mêmes ; et cette pusillanimité n’est pas entièrement exempte de morgue et d’arrogance.

D’abord, une excuse que ne manquent pas de se ménager dans chaque art ceux qui le professent, c’est de tirer de sa faiblesse même un prétexte pour calomnier la nature, et, ce à quoi leur art ne peut atteindre, de le déclarer, d’après ces prétendues règles, absolument impossible. Or cet art-là, selon toute apparence, ne perdra pas son procès, attendu qu’il est ici juge et partie. Et cette philosophie aussi, sur laquelle nous nous reposons, fomente et caresse, pour ainsi dire, certaines opinions dont le but, pour peu qu’on y regarde d’un peu près, paraît être de persuader qu’on ne doit attendre de l’art ou de l’industrie humaine rien de grand, rien de vraiment puissant, rien, en un mot, qui signale l’empire de l’homme sur la nature. Tel est l’esprit de leur assertion sur la différence essentielle qu’ils supposent entre la chaleur des astres et celle du feu artificiel, sur la mixtion, etc., comme nous l’avons déjà observé. Mais, pour peu que nous y regardions de près, nous reconnaîtrons que tous ces discours de mauvaise foi tendent à circonscrire la puissance humaine ; que ce n’est qu’un artifice pour jeter les esprits dans le découragement, et non-seulement pour les