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LIVRE PREMIER.

liers par la vraie méthode, et qui ensuite indiqueront de nouveaux faits, car la route l’on marche guidé par cette méthode n’est point un terrain uni, mais un terrain inégal l’on va tantôt en montant, tantôt en descendant : on monte des faits aux axiomes, puis on redescend des axiomes à la pratique.

CIV. Cependant il faut se garder de permettre à l’entendement de sauter, de voler, pour ainsi dire, des faits particuliers aux axiomes qui en sont les plus éloignés, et que j’appellerai généralissimes, tels que sont ceux qu’on nomme ordinairement les principes des arts et de toutes choses, de les regarder aussitôt comme autant de vérités immuables, et de s’en servir pour établir les axiomes moyens, ce qui serait en effet très-expéditif. Et c’est ce qu’on a fait jusqu’ici, l’entendement n’y étant que trop porté par son impétuosité naturelle et étant d’ailleurs de longue main accoutumé, dressé à cela même par les démonstrations syllogistiques. Mais on pourra espérer beaucoup des sciences lorsque, par la véritable échelle, c’est-à-dire par des degrés continus, sans interruption, sans vide, on aura monter des faits particuliers aux axiomes du dernier ordre, de ceux-ci aux axiomes moyens, lesquels s’élèvent peu à peu les uns au-dessus des autres, pour arriver enfin aux plus généraux de tous. Car les axiomes du dernier ordre ne diffèrent que bien peu de l’expérience toute pure. Mais les axiomes suprêmes ou généralissimes (je parle ici des seuls que nous ayons) sont purement idéaux, ce ne sont que de pures abstractions, n’ayant ni réalité ni solidité. Les vrais axiomes, les axiomes solides et comme vivants, ce sont les axiomes moyens, sur lesquels reposent toutes les espérances et toute la fortune réelle du genre humain. C’est sur ceux- que s’appuient aussi les axiomes généralissimes, et par ce mot nous n’entendons pas simplement des principes abstraits, mais des principes vraiment limités par des axiomes moyens.

Ainsi, ce qu’il faut pour ainsi dire attacher à l’entendement, ce ne sont point des ailes, mais au contraire du plomb, un poids qui comprime son essor. Mais c’est une précaution qu’on a jusqu’ici négligée ; et quand on l’aura prise, alors enfin on pourra se promettre des sciences quelque chose de mieux.

CV. Lorsqu’il s’agit d’établir un axiome, il faut employer une forme d’induction tout autre que celle qui a été jusqu’ici en usage ; et cela non-seulement pour découvrir et démontrer ce qu’on nomme communément les principes, mais pour établir aussi les axiomes du dernier ordre et les axiomes moyens tous, en un mot. Car cette sorte d’induction qui procède par voie de simple énumération n’est qu’une méthode d’enfants, qui ne mène qu’à des con-