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LIVRE PREMIER.

à en convaincre par de simples discours, ce qui ne nous empêchera pas de donner sur ce sujet un dernier avertissement, savoir qu’en se tenant aux méthodes aujourd’hui en usage on ne doit espérer des progrès fort sensibles ni dans la théorie, ni dans la propagation des sciences, encore moins pourrait-on en tirer des applications suffisantes pour étendre beaucoup la pratique.

CXXIX. Reste à dire quelques mots sur l’utilité et l’importance de la fin que nous nous proposons. Si nous avions dit en commençant ce que nous allons dire maintenant, cela n’eut paru qu’un simple vœu. Mais comme nous avons déjà montré de puissants motifs d’espérance et dissipé les préjugés contraires, ce qu’il nous reste à dire en aura plus de poids. De plus, si nous prétendions tout perfectionner, tout achever, en un mot, tout faire, sans appeler les autres à partager nos travaux et les inviter à s’associer avec nous, nous nous garderions encore d’entamer ce sujet, de peur qu’un tel langage ne parût tendre qu’à donner une haute idée de notre entreprise et à nous faire valoir. Mais comme désormais nous ne devons plus épargner aucun moyen pour aiguillonner l’industrie des autres et animer leur courage, nous devons par la même raison mettre sous les yeux du lecteur certaines vérités tendant à ce but.

Nous voyons d’abord que les découvertes utiles, les belles inventions sont ce qui tient le premier rang parmi les actions humaines et tel fut sur ce point le jugement de la plus haute antiquité, qui décerna aux grands inventeurs les honneurs de l’apothéose. Quant à ceux qui n’avaient bien mérité de leurs concitoyens que par des services politiques, tels que les fondateurs de villes ou d’empires, les législateurs, ceux qui avaient délivré leur patrie de quelque grande calamité ou qui avaient chassé les tyrans, et autres semblables bienfaiteurs, on ne leur conférait que le titre de héros. Or, pour peu qu’on sache faire une juste estimation des services de ces deux genres, on ne trouvera rien de plus judicieux que cette différence dans les honneurs que leur décernait l’antiquité. Car les bienfaits des inventeurs peuvent s’étendre au genre humain tout entier, mais les services politiques sont bornés à certaines nations et à certains lieux, ces derniers ne s’étendent pas au delà de quelques siècles, au lieu que les premiers sont d’éternels bienfaits. Ajoutez que les innovations politiques, même en mieux, ne marchent guère sans troubles et sans violence, au lieu que les inventions gratifient les uns sans nuire aux autres et font ressentir leur douce influence sans affliger qui que ce soit, on peut même regarder les inventions comme autant de créations et