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LIVRE PREMIER.

tions le sont de mots, et les mots sont en quelque manière les étiquettes des choses. Que si les notions mêmes, qui sont comme la base de l’édifice, sont confuses et extraites des choses au hasard, tout ce qu’on bâtit ensuite sur un tel fondement ne peut avoir de solidité. Il ne reste donc d’espérance que dans la véritable induction.

XV. Rien de plus faux ou de plus hasardé que la plupart des notions reçues, soit en logique, soit en physique, telles que celles de substance, de qualité, d’action, de passion, et la notion même de l’être. Encore moins peut-on faire fonds sur les notions de densité et de raréfaction, de pesanteur et de légèreté, d’humidité et de sécheresse, de génération et de corruption, d’attraction et de répulsion, d’élément et de matière, de forme, ni sur une infinité d’autres semblables, toutes notions fantastiques et mal déterminées.

XVI. Les notions des espèces du dernier ordre, comme celles de l’homme, du chien, du pigeon, et les perceptions immédiates des sens, comme celles du chaud, du froid, du blanc, du noir, sont beaucoup moins trompeuses ; encore ces dernières mêmes deviennent-elles souvent confuses et incertaines, par différentes causes, telles que : la nature variable de la matière, l’enchaînement de toutes les parties de la nature, et la prodigieuse complication de tous les sujets. Mais toutes les autres notions dont on a fait usage jusqu’ici sont autant d’erreurs ; aucune n’a été extraite de l’observation et de l’expérience par la méthode convenable.

XVII. Même licence et même aberration dans la manière de former et d’établir les axiomes, que dans celle d’abstraire les notions ; et l’erreur est dans les propositions mêmes qu’on qualifie ordinairement de principes, et qui toutes sont le produit de l’induction vulgaire ; mais elle est beaucoup plus grande dans les axiomes et les propositions d’ordre inférieur qu’on déduit par le moyen du syllogisme.

XVIII. Ce qu’on a jusqu’ici inventé dans les sciences est presque entièrement subordonné aux notions vulgaires, ou s’en éloigne bien peu ; mais veut-on pénétrer jusqu’aux parties les plus reculées et les plus secrètes de la nature, il faut extraire de l’observation et former, soit les notions, soit les principes, par une méthode plus exacte et plus certaine ; en un mot, apprendre à mieux diriger tout le travail de l’entendement humain.

XIX. Il peut y avoir et il y a en effet deux voies ou méthodes pour découvrir la vérité. L’une, partant des sensations et des faits particuliers, s’élance du premier saut jusqu’aux principes les plus généraux ; puis se reposant sur ces principes comme sur autant de