Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/90

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une infinité de natures qu’on s’imagine n’avoir fait que séparer des autres, supposant qu’elles existaient dans le corps mixte avant sa décomposition, mais qui, dans le fait, ont été produites par le feu même ou les autres agents de décomposition. Mais ce ne serait encore là que la moindre partie du travail nécessaire pour découvrir la texture cachée dans un composé quelconque ; texture qui est trop subtile et trop profonde, et que le feu ne peut que changer ou détruire, loin de la rendre plus sensible. Ainsi, cette analyse et cette décomposition des corps, ce n’est point à l’aide du feu qu’il faut la faire, mais à l’aide de la raison et de la véritable induction, par le moyen de certaines expériences auxiliaires, par la comparaison de ces corps avec d’autres, en ramenant enfin leurs propriétés composées aux natures simples et à leurs formes qui sont combinées et entrelacées dans les composés. En un mot, il faut, en quelque manière, quitter Vulcain pour Minerve, pour peu qu’on ait à cœur de rendre sensible, de placer dans une vive lumière la vraie structure ou texture des corps ; texture d’où dépend toute qualité secrète, ou, pour nous servir d’une expression fort usitée, toute propriété spécifique. C’est de cette même source que découle la véritable règle de toute puissante altération ou transformation. Par exemple, il faut, dans chaque corps, déterminer tout, ce qu’il y a, soit d’esprit, soit d’essence tangible ; puis, quant à cet esprit même, s’assurer s’il est en grande ou en petite quantité, dans l’état de dilatation ou de contraction, délié ou épais, s’il tient plus de la nature de l’air ou de celle du feu, s’il est actif ou inerte, faible ou vigoureux, dans l’état progressif ou rétrograde, continu ou entrecoupé, en harmonie ou en conflit avec tout ce qui l’environne, etc. Il faut analyser de même l’essence du corps tangible, qui n’est pas susceptible d’un moindre nombre de différences que l’esprit ; il faut, dis-je, analyser sa texture et l’éplucher, pour ainsi dire, fibre à fibre. Ce n’est pas tout ; la manière dont cet esprit est logé et répandu dans la masse du corps proposé, ses pores, ses conduits, ses cellules, ses ébauches et ses tentatives de corps organique, voilà aussi ce qui doit être le sujet de la même recherche ; mais dans cette recherche même et dans celle de toute texture cachée, la lumière la plus vive, la vraie lumière, c’est celle qui jaillit des axiomes du premier ordre ; c’est celle-là seule qui, dans une analyse aussi fine et aussi difficile, peut dissiper tous les nuages et éclairer toutes les parties du sujet. l. Esprit ici veut dire la partie volatile des corps, que Bacon distingue de leur partie tangible. ED.