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30 ŒUVRES

gens-là, cherchent la verité à taston : c’est un grand hasard quand ils la treuvent. Je les regarde comme je regarde l’enseigne du cadran en passant sur le pont Nostre-Dame. Le cadran disoit vray alors et je disois : passons viste, il n’y fera plus bon bien tost. C’est la verité qui l’a rencontré ; il n’a pas rencontré la verité. Il ne dit vray qu’une fois le jour. »

M. Pascal vint aussi, en ce tems-là, demeurer à Port-Royal des Champs. Je ne m’arreste point à dire qui estoit cet homme, que non seulement toute la France, mais toute l’Europe a admiré. Son esprit toujours vif, toujours agissant, estoit d’une etendue, d’une elevation, d’une fermeté, d’une penetration et d’une netteté au delà de ce qu’on peut croire. Il n’y avoit point d’homme habile dans les mathematiques qui ne luy cedast : tesmoin l’histoire de la roulette fameuse, qui estoit alors l’entretien de tous les sçavans 1 . On sçait qu’il sembloit animer le cuivre et donner de l’esprit à l’airain. Il faisoit que de petites roues sans raison, où estoient sur chacune les dix premiers chiffres, rendoient raison aux personnes 2 les plus raisonnables, et il faisoit en quelque sorte parler les machines muettes, pour resoudre en jouant les difficultez des nombres qui arrestoient les plus sçavans: ce qui luy cousta tant d’application et d’effort d’esprit que, pour monter cette machine au point où tout le monde l’admiroit, et que j’ay veüe de mes yeux, il en eut luy-mesme la teste demontée pendant plus de trois ans. Cet homme

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1. Il est à peine besoin de faire observer que Fontaine confond les roues de la machine arithmétique avec la roue génératrice de la cycloïde, ou roulette, dont Pascal s’occupera en 1658.

2. les plus, est la leçon de M.; cette variante n’est pas signalée par M. Bédier.