Page:Œuvres de Blaise Pascal, X.djvu/443

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viendra auquel elle se trouvera denuée de toutes les choses auxquelles elle avoit mis son esperance. De sorte qu’elle comprend parfaitement que son cœur ne s’estant attaché qu’à des choses fragiles et vaines, son ame se doit trouver seule et abandonnée au sortir de cette vie, puisqu’elle n’a pas eu soin de se joindre à un bien véritable et subsistant par luy-mesme, qui pust la soutenir et durant et apres cette vie.

De là vient qu’elle commence à considerer comme un neant tout ce qui doit retourner dans le neant, le ciel, la terre, son esprit, son corps, ses parens, ses amis, ses ennemis, les biens, la pauvreté, la disgrace, la prosperité, l’honneur, l’ignominie, l’estime, le mepris, l’authorité, l’indigence, la santé, la maladie et la vie mesme ; enfin tout ce qui doit moins durer que son ame est incapable de satisfaire le dessein de cette ame qui recherche sérieusement à l’establir dans une félicité aussi durable qu’elle-mesme.

Elle commence à s’étonner de l’aveuglement où elle a vecu ; et quand elle considere d’une part le long temps qu’elle a vecu sans faire ces réflexions et le grand nombre de personnes qui vivent de la sorte, et de l’autre combien il est constant que l’ame, estant immortelle comme elle est, ne peut trouver sa felicité parmi des choses perissables, et qui luy seront ostées au moins à la mort, elle entre dans une sainte confusion et dans un etonnement qui luy porte un trouble bien salutaire.

Car elle considere que quelque grand que soit le nombre de ceux qui vieillissent dans les maximes du monde, et quelque autorité que puisse avoir cette multitude d’exemples de ceux qui posent leur félicité au monde, il est constant néanmoins que quand les choses du monde auroient quelque plaisir solide, ce qui est reconnu pour