Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu/300

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les commandements de Dieu ou dans ceux de l’Église ? Et d’abord, monsieur de Pont-Cassé, entre vous et moi la partie est-elle bien égale ? Vous êtes mousquetaire et je suis médecin ; vous êtes artiste en fait d’escrime, et moi je ne sais guère manier que le bistouri ou la lancette ; vous ne vous faites pas plus de scrupule, à ce qu’il paraît, de supprimer un membre à un homme que d’arracher une aile à une mouche, et moi j’ai horreur du sang, et surtout du sang artériel ; accepter votre cartel, ne serait-ce pas aussi ridicule de ma part que si je consentais à courir sur la corde tendue d’après la provocation d’un funambule, ou de traverser un bras de mer sur le défi d’un professeur de natation ? Et quand bien même les chances seraient égales entre nous, quand on conclut un traité, il faut qu’on espère y gagner quelque chose ; or, si je vous tue, qu’y gagnerai-je et si je suis tué par vous qu’y gagnerai-je encore ? Vous le voyez donc bien, dans les deux cas je ferais un marché de dupe.

Il faut, répétez-vous, que tout homme provoqué en duel se batte. Quoi ! si un meurtrier de grand chemin m’arrêtait à la corne d’un bois, je ne me ferais aucun scrupule de lui échapper à l’aide de mes bonnes jambes, et quand c’est un meurtrier de salon qui me met un cartel sous la gorge, je me croirais obligé d’aller me jeter sur la pointe de son épée ?

» À votre compte, quand un individu que vous ne connaissez que pour lui avoir par mégarde marché sur le pied, vous écrit : « Monsieur, trouvez-vous à telle heure, à tel endroit, afin que j’aie la satisfaction de vous égorger, en réparation de l’insulte que vous m’avez faite, » il faut qu’on se rende aux ordres du quidam et qu’on prenne bien garde encore de le faire attendre. Chose étrange ! il y a des hommes qui ne risqueraient pas mille francs pour sauver l’honneur à leur ami, la vie à leur père, et qui risquent leur vie dans un duel pour une parole équivoque ou pour un regard de travers ; mais alors, qu’est-ce donc que la vie ? ce n’est