Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu/302

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au-dessus de sa tête, reste à rêver tranquillement dans son lit ? qui, lorsqu’il est sérieusement malade, n’appelle le médecin à son secours ? qui, enfin, lorsqu’il tombe dans un fleuve, ne cherche à s’accrocher aux arbustes du rivage ? Encore une fois, ce public, qu’est-il ? un lâche qui prêche la témérité. Supposons qu’au lieu de moi, Benjamin Rathery, ce soit lui, le public, que M. de Pont-Cassé provoque en duel, combien y en aura-t-il parmi cette foule qui oseront accepter son défi ?

» Et d’ailleurs, est-ce qu’il y a pour le philosophe d’autre public que les hommes qui pensent et qui raisonnent ? Or, aux yeux de ces gens-là, le duel n’est-il pas le plus absurde comme le plus barbare des préjugés ? Que prouve cette logique qu’on apprend dans une salle d’armes ? Un coup d’épée bien appliqué, n’est-ce pas là un magnifique argument ? Parez tierce, parez quarte, vous pouvez démontrer tout ce que vous voudrez. C’est bien dommage, ma foi, quand le pape excommuniait comme hérétique le mouvement de la terre autour du soleil, que Galilée n’ait pas songé à appeler Sa Sainteté en duel pour lui prouver que ce mouvement existait.

» Au moyen-âge, le duel avait au moins un motif ; il était la conséquence d’une idée religieuse. Nos grands-parents croyaient Dieu trop juste pour laisser l’innocent tomber sous les coups du coupable, et l’issue du combat était regardée comme un arrêt d’en haut. Mais chez nous qui sommes, grâce au ciel, bien revenus de ces folles idées et qui ne croyons à la justice temporelle de Dieu que sous bénéfice d’inventaire, comment le duel peut-il se justifier, et à quoi sert-il ?

» Vous craignez qu’on vous accuse de manquer de courage si vous refusez un cartel, mais ces malheureux qui font le métier d’égorgeurs et qui vous défient parce qu’ils se croient sûrs de vous tuer, quel croyez-vous donc que soit leur courage ? celui du boucher qui égorge un mouton qui a les pattes liées, celui du chasseur qui tire sans pitié sur un lièvre en forme ou sur l’oiseau qui chante sur un