Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu/305

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pieds ; ces grands noyers en deuil, qui ressemblaient, avec leurs noirs branchages, à un vaste polype, ces longs peupliers qui n’avaient plus que quelques feuilles rousses à leurs panaches, à la cime desquels se balançaient quelquefois de lourdes grappes de corbeaux, ce taillis fauve tout rissolé par la gelée, cette rivière qui s’en allait toute noire entre ces rives de neige vers les pelles du fouloir, le donjon de la postaillerie, grisâtre et vaporeux comme une colonne de nuages, le vieux château féodal de Pressure, tapi entre les roseaux bruns de ses fossés et qui semblaient avoir la fièvre, les cheminées du village qui jetaient ensemble leur fumée légère et chétive comme l’haleine d’un homme qui souffle entre ses doigts. Le tic tac du moulin, cet ami avec lequel il avait conversé si souvent lorsqu’il revenait de Corvol par les beaux clairs de lune de l’automne, était plein de notes sinistres ; il semblait dire dans son langage saccadé :

Porteur de rapière, Tu vas au cimetière.

À quoi mon oncle répondait :

Tic tac indiscret, Je vais où il me plaît ; Si c’est au trépas, Ça n’te r’garde pas.

Le temps était sombre et malade ; de gros nuages blancs poussés par la bise se traînaient pesamment dans les cieux comme un cygne blessé ; la neige, dépolie par un jour grisâtre, était terne et blafarde, et l’horizon était fermé de toutes parts par une ceinture de brouillards qui se traînaient le long des montagnes. Il semblait à mon oncle qu’il ne reverrait plus, éclairé par