Page:Œuvres de C. Tillier - I.djvu/72

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autrement ce n’est qu’une vaine excroissance du discours, une inutile queue de mots qui empêtre la phrase et l’empêche de marcher. En général, je trouve que nos poètes sont trop chiches d’idées et trop prodigues de paroles. Presque tous les vers sont faits avec des mots sonores et n’ont d’autre mérite que l’harmonie. Ils sont extrêmement contents d’eux quand ils ont mis coursier au lieu de cheval, salpêtre au lieu de poudre à canon ; ils croient avoir fait merveille quand ils ont enveloppé une idée triviale et commune dans une pompeuse période. Mais alors cette pauvre idée ressemble à ces personnages vulgaires de toutes façons qu’on rencontre partout dans les sociétés, habillés en hommes comme il faut. Si vous n’avez qu’un hareng salé à m’offrir, ne me le présentez pas sur un plat d’argent… »

Ici, enfin, l’auteur se montre bien comme il est, l’ennemi de la prosodie, de la langue noble, de cette langue des dieux et des rois, qui parle en synonymes et en rimes :

« Qu’est-ce que la poésie ? je ne le sais ; je ne le sais pas plus que ce qu’est l’esprit, le génie, le sublime, le beau. Mais celui qui m’inspire de riantes pensées, qui me saisit, qui me frappe par une vive image, qui a l’art de solidifier pour ainsi dire ses idées et de vous les montrer comme un groupe de marbre, est un poète. Ainsi, c’est un poète celui qui a dit : « L’égoïste brûlerait une maison pour faire cuire un œuf ; » Gilbert était poète aussi, quand il disait que Thomas — le faiseur d’éloges

— ouvrait pour ne rien dire une bouche immense. Il y a de la poésie dans les choses même inanimées, souvent dans les objets les plus simples. Une chaumière au bord d’un ruisseau, ombragée par de vieux ormes ; un grand arbre couvrant tout un chemin creux de son feuillage, une touffe épaisse de ces longues